Le projet de ville gigantesque appelé NEOM pourrait amener l’Arabie saoudite à reconnaître Israël

Afin de faire sortir le royaume de sa dépendance à l’égard des exportations de pétrole et de garantir le succès de son initiative de cité-Etat NEOM, Riyad reconnaîtra probablement Israël durant les années à venir.
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Le projet de ville gigantesque appelé NEOM pourrait amener l’Arabie saoudite à reconnaître Israël

L’initiative d’un demi-billon [500 milliards] de dollars visant à construire une ville à trois Etats aux frontières saoudienne, égyptienne et jordanienne, dans le golfe d’Aqaba, conduira proba­ble­ment à ce que Riyad reconnaisse Israël et intègre Tel-Aviv dans le projet.

 

Lors d’un forum sur l’investissement qui se tenait cette semaine [10.2017], l’ambitieux prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman[1] a dévoilé un projet à 500 milliards de dollars[2] qui a pour but de donner véritablement corps à son projet Vision 2030 de diversifier fondamentalement l’économie de son pays, tributaire du pétrole, au cours de la prochaine décennie. Ce projet prévoit la construc­tion d’une ville gigantesque appelée NEOM, à l’entrée du golfe d’Aqaba, à l’extrémité nord-est de la mer Rouge, l’intention étant, à terme, qu’elle s’étende également à l’Egypte et à la Jordanie voi­sines. Le prince héritier a promis qu’elle serait une ville à la pointe de la technologie, dotée de ses propres lois et administration, et qu’elle serait également libre de toute «tradition».

 

La dernière intervention de Mohammed Ben Salman laisse entendre qu’il ne permettra pas que les «ré­gle­men­tations» socioculturelles traditionnelles wahhabites du royaume y soient imposées, ce qui va dans le même sens que son autre déclaration faite à la une de l’événement, comme quoi l’Arabie saou­­dite «reviendra… à un islam modéré» et «portera rapidement un coup aux idéologies extré­mistes»[3]. Très clairement, comme l’a analysé ce mois le précédent article de l’auteur au sujet de la grande stratégie de changement de l’Arabie saoudite[4], un conflit «d’Etat profond» a effective­ment lieu dans le pays, entre ses factions monarchiques et religieuses, les premières étant sur le point de pro­cé­­der à un «coup d’Etat soft» contre les secondes, dans le but de «moderniser» le pays. Il en ré­sultera sûrement un certain tumulte en coulisse, durant les années à ve­nir, voire une déstabilisation ma­nifeste; mais le but du présent article n’est pas de trop s’attarder sur une telle digression.

 

Au lieu de cela, il est pertinent de soulever cette question afin de faire valoir le fait que l’Arabie saou­dite est à l’aube d’un changement de pa­ra­digme sans précédent qui la verra probablement reconnaître Israël, si la monarchie réussit à étouffer l’influence politique des reli­gieux. Les parte­naires NEOM égyptiens et jordaniens de l’Arabie saou­dite ont déjà reconnu et signé des traités de paix avec Israël, et Riyad est connu pour collaborer avec Tel-Aviv à l’élaboration d’une po­li­­tique régionale anti-iranienne globale[5], entre autres points com­muns qu’ils partagent sur le plan straté­gique. En outre, les réunions se­crètes[6] entre l’Arabie saoudite et Israël, au fil des années, donnent à penser que leur rela­tion est beaucoup plus chaleureuse en privé que ce que chacune des parties montre en public au sujet de leurs motifs respectifs de politique inté­rieure.

 

Israël a toujours souhaité des relations avec l’Arabie saoudite, bien que Riyad les ait tradition­nellement esquivées, voulant se présenter comme un fer­vent défenseur de la cause pa­les­ti­­nienne, image rendue d’au­tant plus symbolique par la tutelle de la monarchie saoudienne sur les deux saintes mos­quées [N.d.t. : La Mecque et Médine][7], compte tenu de la dimension reli­gieuse du conflit israélo-pa­les­tinien. Toutefois, si Mohammed Ben Salman sort gagnant de son «coup “d’E­tat pro­fond” soft» contre les religieux wahhabites, il peut alors faci­lement leur im­pu­ter le «blâme» du re­fus de son pays de reconnaître Israël durant toutes ces décennies. Peut-être est-il intéressé à le faire comme une ultime ex­pres­sion de l’identité radicalement transformée de son pays sous sa di­rection, mais il se pourrait qu’il soit conduit de façon tout aussi im­por­tante par les impératifs géostratégiques liés au pro­jet phare NEOM de Vision 2030.

 

Non seulement le golfe d’Aqaba a été choisi pour permettre à NEOM de s’étendre en Egypte et en Jordanie, mais également en rai­son de sa proximité avec Israël, qui fait la promotion de son projet de chemin de fer «Red-Med»[8] comme le parfait élément complé­mentaire moyen-oriental de la nouvelle route de la soie. Tel-Aviv sait parfaitement que les Chinois sont toujours à la recherche de plans alternatifs et de diver­si­fication des voies de communication afin de ne pas être trop tribu­taires de couloirs de communica­tion uniques, et dans ce cas, un transit ferroviaire terrestre reliant le golfe d’Aqaba à l’est de la Méditerranée, en passant par Israël, s’avère extrêmement attrayant pour les stratèges de Pékin. En outre, la Chine a des relations exceptionnelles[9], à la fois avec l’Arabie saoudite et Israël; ainsi, du point de vue de Pékin, c’est un parfait «win-win» («gagnant-gagnant») moyen-oriental, en particulier si la République populaire peut trouver un moyen de sous-entendre que son éventuel financement des deux projets «NEOM» et «Red-Med» contribu­erait à pacifier le Moyen-Orient.

 

En plus, il faut prendre en considération le facteur russe, et il est objec­tivement connu – bien que ce soit souvent nié dans la communauté des médias alternatifs – que Moscou et Tel-Aviv sont en excellents termes et qu’ils coopèrent, dans le fond, comme des alliés[10] en Syrie. Si l’on tient compte de la rapidité du rapprochement arabo-russe et du grand rôle stratégique que Moscou envisage de jouer au XXIe siècle[11] en devenant la force suprême d’équilibre en Eurasie, il est probable que la Russie serait en faveur de n’importe quelle reconnaissance saoudienne d’Israël et d’une intégration de Tel-Aviv dans le projet NEOM, du fait que celle-ci permettrait à l’élite économique russe d’investir – aussi bien en Fédération de Russie qu’en Israël – dans cette formidable cité-Etat ainsi que dans son projet complémen­taire : le corridor de la route de la soie «Red-Med».

 

Vu la façon dont Mohammed Ben Salman tente de purger le royaume de l’influence politique des religieux, il est très pos­sible que l’Arabie saoudite finisse par reconnaître Israël dans un avenir proche, et qu’elle impute aux wah­habites son retard de plusieurs décennies à le faire. Le grand ob­jec­tif, en arrière-fond, n’est pas seulement d’officialiser le par­tenariat israélo-saoudien anti-iranien, ni de montrer au monde à quel point le prince héritier prend au sérieux le chan­ge­ment de cap de son pays, mais également de plaire aux nou­veaux parte­naires multipolaires de grande puissance de Riyad[12], ainsi qu’à Moscou et à Pékin. Ces derniers profitent de relations exceptionnelles avec Tel-Aviv, mais ils seront probablement réticents à investir dans le projet de cité-Etat NEOM du royaume [saoudien] tant que son accès de connectivité restera dépendant du goulet d’étranglement du canal de Suez.

 

La Russie et la Chine se sentiraient plus en sécurité sur le plan stratégique si Israël était incor­poré dans ce méga­projet, afin que son territoire puisse être utilisé pour le trans­bor­dement par voie terrestre entre la mer Rouge et la mer Médi­terranée, via le projet de chemin de fer «Red-Med», ce qui rendrait alors NEOM infiniment plus attrayant du point de vue logistique pour toutes sortes d’inves­tisseurs. Si l’Arabie saoudite ne reconnaît pas Israël, alors cette solution alternative au golfe de Suez est impossible[13] et la cité-Etat NEOM perd sa grande impor­tance stratégique dans le contexte de l’ordre mondial multipolaire[14], ce qui pourrait causer un manque d’investissement et, par conséquent, la faillite potentielle du projet phare Vision 2030. A ce titre, en raison des impératifs économiques stratégiques associés à NEOM et du changement de para­digme géopolitique ayant lieu en Arabie saoudite, Riyad reconnaîtra probablement Israël durant les années à venir, afin de ga­rantir le succès de son initiative de cité-Etat et, à terme, de faire sortir le royaume de sa dé­pen­dance à l’égard des exportations de pétrole.

 

Andrew Korybko est un analyste politique américain basé à Moscou, spécialisé dans la relation entre : la stratégie américaine en Afro-Eurasie, la vision globale de la Chine One belt, one road («Une ceinture, une route») pour la connectivité par la nouvelle route de la soie et la guerre hybride.

 

 

Andrew Korybko

Source : Site internet GlobalResearch – 26.10.17

Titre original : The gigantic city project called NEOM :
Saudi Arabia might recognize Israel because of NEOM project

Traduction et mise en forme : APV

Date de parution sur www.apv.org : 02.09.19

 

 

[1] Site SputnikThe Saudi shake-up is good news for Russia and China.

[2] Site BloombergSaudi Arabia just announced plans to build a mega city that will cost $500 billion.

[3] Id. Saudi Arabia crown prince speaks in favor of returning to «Moderate Islam».

[4] Site OrientalReview.org Is Saudi Arabia’s grand strategy shifting?

[5] Site The Time of Israel In very rare public meet, Israeli, Saudi officials name Iran as common foe.

[6] Site ZeroHedge.comBreaking News of Saudi crown prince’s «secret» visit to Israel brings embassy scramble.

[7] N.d.t. : La monarchie des Saoud a la tutelle sur ces deux lieux les plus saints de l’islam; les factions religieuses du royaume la leur contestent. Pour en savoir plus.

[8] N.d.t. : Abréviation de «de la mer Rouge à la Méditerranée», en anglais. Site Begin-Sadat Center The Red-Med railway : New opportunities for China, Israel, and the Middle East.

[9] Site TheDuran Why is China choosing to partner with Israel and Saudi Arabia?

[10] Id. Does anyone still seriously think that Russia and Israel aren’t allies.

[11] Site OrientalReview.org – Russia’s foreign policy progressives have trumped the traditionalists.

[12] Site RegionalRapportThere’s a simple reason why Iran isn’t in BRICS Saudi Arabia.

[13] Site Bloomberg Bridge tying Saudi Arabia to Africa may need Israeli signoff.

[14] Site Geopolitica.ru 21st century geopolitics of the multipolar world order.

Article écrit par Korybko Andrew

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