L’Evangile en Bretagne – Episode 1 / 4

Elisée Le Garrec fuit le cloître de Cimiez et rompt avec l'Ordre des franciscains, après de longues années de réflexion qui l'amènent à une véritable conversion à Jésus-Christ.
Projet de Dieu_Type

L’Evangile en Bretagne

Episode 1 / 4

 

Terre! Terre! Ecoute la voix du Seigneur. Quiberon.

Au sud de la Bretagne, non loin du port militaire de Lorient, s’étend dans la mer la presqu’île de Quiberon. Originellement une île, elle est devenue une presqu’île par l’élévation naturelle du sable de la mer, et sa partie la plus étroite ne dépasse pas 50 mètres de largeur. A l’ouest, la presqu’île forme le continent avec la baie de Quiberon. Par endroits, la mer se brise contre de pittoresques rochers de granit, mais en d’autres, la grève est recouverte de sable et forme des plages appréciées des baigneurs. Du sud de la presqu’île, le regard s’étend au loin sur l’immense océan, jusqu’à l’île de Belle-Isle[1], avec ses phares élevés et ses sauvages entassements de rochers. Non loin de Belle-Isle se trouvent encore les deux plus petites de Houat et Houedik.

 

La presqu’île de Quiberon est connue dans l’histoire par le débarquement qu’y firent les Emigrés, pendant la révolution française en 1795. Ils furent d’ailleurs rejetés à la mer ou faits prisonniers par le jeune général Hoche, libéré du siège de Mayence.

 

Quiberon se signale maintenant à l’attention du monde chrétien par un événement d’autre nature, c’est-à-dire par un commencement de libération du pays, des liens des erreurs romaines, par la victorieuse puissance de l’Evangile de Christ. La parole de Dieu a la puissance d’éclairer le peuple de ce pays, bien qu’il soit des plus fanatiques de France. Elle a déjà trouvé un écho dans le cœur des habitants de Quiberon, et trouvera, Dieu voulant, en Morbihan, dans la Bretagne toute entière, aussi un joyeux retentissement dans le cœur des habitants. Ils ne connaissent pas le vrai Dieu, parce qu’il ne leur a jusqu’ici pas été annoncé; et ils ne connaissent pas Jésus-Christ, leur église les ayant détournés du chemin qui conduit au vrai libérateur.

 

Nous allons raconter ci-après comment le désir des gens de Quiberon s’est éveillé pour l’Evangile.

L’auteur humainement parlant du mouvement en question est Elisée Le Garrec. La vie de cet homme, suscité de Dieu pour porter l’Evangile à ses anciens coreligionnaires, est des plus intéressantes dans toutes ses parties : sa première vie comme prêtre et moine, sa sortie de l’église romaine, son travail actuel comme directeur du Foyer fraternel à Paris, et le grand ouvrage qui vient de lui être nouvellement confié de l’évangélisation de Quiberon.

 

Elisée Le Garrec est de ces hommes qui parce qu’ils reconnaissent et font connaître la vérité en Jésus-Christ, ne trouvent plus de place dans leur église, et sont poursuivis de sa haine et de sa fureur. Sa vie montre à nouveau quelle force libératrice possède la recherche de la Vérité. Elle montre aussi ce que Dieu peut faire d’un homme qui L’a trouvée parce qu’il L’a cherchée.

 

Prêtre et moine

La patrie d’Elisée Le Garrec est la Bretagne. Ayant reçu les ordres en 1881, il accompagna, la même année, les troupes françaises devant Tunis, comme aumônier, et fut blessé sur le champ de bataille. En reconnaissance de ses services, il fut nommé l’année suivante, premier vicaire de la cathédrale de Bône. En 1884, le choléra ayant éclaté, c’est l’abbé Le Garrec qui, sur son désir, reçut le service périlleux et plein de respon­sabilité, d’aumônier dans le Lazaret.

 

Nous le retrouvons plus tard comme professeur au collège des Pères Le Doré. C’est ici, qu’étudiant la vie de Saint-François d’Assises, et rempli d’enthousiasme pour ce saint, il se détermina à entrer dans l’ordre des franciscains. Après avoir été en mission pour l’ordre, en Angleterre et en Italie, Père Elisée, comme il s’appelle maintenant, devint prédicateur itinérant en France.

 

Ses prédications se signalent par leur originalité et plus encore par leur caractère évangélique. Le jeune prêtre fut bientôt, à Nîmes, à Mâcon, à Nice, connu et choyé comme un distingué prédicateur.

 

Ses succès lui attirent bientôt l’envie bien connue des autres moines, et dès lors, les moyens les plus divers furent mis en œuvre pour paralyser son activité; sa correspondance fut interceptée et son confesseur surveillé. Comme beaucoup d’âmes travaillées s’attachent à lui, on essaye d’empê­cher leurs entretiens en lui défendant de s’occuper des besoins de l’âme. Il devait aussi congé­dier ses visiteurs après deux ou trois minutes d’entretien.

 

Malgré ces obstacles, la suite de ses fidèles grandissait de plus en plus, et, au prêche comme à la confession, on ne demandait que le père Elisée. Bientôt on l’accuse de fausses doctrines, et parfois, sur le point de monter en chaire, il dut donner ses manuscrits pour les laisser inspecter.

 

Père Elisée avait toujours eu une âme droite devant Dieu; quand il avait reconnu une vérité, il était toujours prêt à supporter toutes les difficultés que la proclamation de cette vérité pourrait lui apporter. Un jour de fête, laissant de côté la légende du Franciscain, il prêcha sur l’infinie miséricorde de Jésus-Christ. C’était manifestement une entreprise risquée, aussi, à la fin du prêche, un auditeur lui dit : «Mon père, si vous allez si loin que cela, vous n’en avez plus pour longtemps à prêcher!»

 

Son influence grandit encore par le fait que son activité comme aumônier du «Secrétariat du Peuple» le mit en contact avec l’in­fluente société de Nîmes. Nommé confesseur du «Carmel» et des «Dominicains de Sainte-Eugénie», un brillant avenir parais­­sait s’ouvrir devant lui. Ses remarquables dons spirituels, son ama­bilité, son influence, lui avaient valu ces brillants résultats d’une carrière encore courte. Mais cette belle carrière fut bien­tôt bri­sée, et ce fut son salut. Les efforts des moines envieux parvinrent à le faire envoyer au cloître de Cimiez près de Nice. Là dans le silence, éloigné de l’animation de sa vie précédente, il commença à réfléchir sur les prétentions de l’église romaine, quant aux âmes qui lui sont confiées.

 

Quelle force renferme pourtant la parole de Dieu, quels boulversements n’a-t-elle pas déjà apportés dans le monde, aussi bien que dans les âmes isolées! Ce fut le cas pour le moine de Cimiez.

 

Son brûlant amour pour l’Evangile lui ouvrit les yeux et lui montra une figure auprès de la­quelle toute autre s’efface : l’image de Christ.

 

Saint-François d’Assises n’était plus maintenant son idéal, mais Christ seul.

Il ne voyait plus que Christ et ne prêchait que Lui.

 

Les envieux et paresseux moines du cloître de Cimiez lui causèrent beaucoup de cha­­grins, mais Père Elisée sut s’élever au dessus. Il fut bientôt amené à désap­prou­ver les règlements et prescriptions auxquels la vie vicieuse du cloître donne une trop grande importance et aussi, quoique moins sévèrement, les moines eux-mêmes et leur genre de vie.

 

La fuite hors du cloître

Jusqu’à présent, l’évolution spirituelle du Père Elisée avait été toute intérieure, mais finalement, le jour vint où sa conscience lui fit un devoir de sortir de l’ordre de Saint-François et de l’église romaine.

 

Il se trouva en relations épistolaires avec le directeur protestant du Chrétien français[2] à Paris, qui fut assez audassieux, pour traiter dans une lettre le sujet de la conduite d’un réfugié dans la capitale. Les «bons pères» du cloître de Cimiez (sa correspondance était surveillée) ne comprirent pas ou comprirent trop tard. Dans une lettre que le Père Elisée a laissée aux archives du Chrétien français, il raconte comme suit sa libération.

 

«Ma fuite hors du cloître eut lieu le jeudi 7 décembre 1899 au soir, à la faveur de la nuit. Je fis comme mes collègues. Après la dernière prière, on éteignait les cierges et fermait les portes du cloître. Dans la chapelle tout était déjà sombre, et les portes en devaient être fermées les dernières. Je mis à profit ces circonstances et ayant à la hâte rassemblé mes effets, je sortis de la chapelle et m’éloignais. Un moine me remarqua pourtant, et donna l’alarme. On envoya après moi un frère, agile à la course et beaucoup plus fort que moi, qui m’atteignit à environ un demi kilomètre du cloître. Il se plaça devant moi et me dit : “Où allez-vous?” Je répondis : “Où Dieu m’appelle; vous ne me reverrez plus jamais!” Mon air dé­terminé l’impressionna sans doute, car il ne fit aucun effort pour me retenir, et je m’éloignai».

 

Père Elisée laissa la lettre suivante, adressée au R. P.[3] François Augustin, vicaire du cloître de Cimiez :

Mon Père,

Vous trouverez ces lignes dans votre serviette à l’heure du repas du soir. Au même moment je prendrai le train pour Paris. Il est inutile d’envoyer quelqu’un à la gare pour essayer de me retenir. Je vous prie mon père, de ne pas vous irriter de mon départ inattendu. Prenez tranquillement votre pain du soir et ne soyez pas en souci de ce qui arrive, car en m’enfuyant, j’ai obéi à Dieu et où la providence m’appelle, là je vais! Mon cœur est rempli de la joie la plus élevée.

 

Et au ministre général de l’ordre des franciscains, Père Elisée envoya la lettre suivante :

 

Nice, 5 décembre 1899

Au très honoré père Louis Lauer, ministre général de l’ordre des franciscains,

via Merulana, Rome

 

Très honoré père,

J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que, pour obéir à ma conscience, je quitte l’ordre, après une activité de dix années, tout en restant franciscain de cœur.

Avant de prendre cette décision, je me suis adressé bien des fois au T. R.[4] père Léon, ministre provincial, et au cristos, T. R. père Ferdinand, dans le temps de mes plus difficiles combats intérieurs. Je leur ai confié l’angoisse de mon cœur, j’ai pleuré à leurs pieds. Néanmoins aucun d’eux n’a trouvé nécessaire de s’occuper de moi dans ce temps douloureux de ma vie. C’était la volonté de Dieu, qu’il leur soit dit merci pour cela! Et maintenant que la bataille intérieure est terminée, je quitte le cloître de Nice dans une paix non troublée, qui donne le sentiment du devoir accompli. Je me rends à Paris, où accueil fraternel m’attend de la part des amis qui s’y trouvent. Ensemble nous prierons, nous nous aimerons chré­tien­­nement et sous la protection de Dieu nous irons à la rencontre de l’éternel Ami. Je n’emporte aucun sentiment d’amertume, aucune colère contre mes frères du cloître qui m’ont fait souffrir. Dieu leur pardonne comme je le fais aussi!

Je vous prie très honoré père, d’accepter l’assurance de mon respect, lequel je vous dois en Jésus-Christ.

  1. Elisée, 98 Rue Brancas, Sèvres S.O.

 

Une histoire détaillée de cette période de sa vie sera écrite par Le Garrec, en un livre qu’un traducteur allemand suivra de près.

 

Il était impossible qu’après la fuite de Le Garrec, beaucoup de personnes ne se préoccupassent de son sort. Une quantité de vœux de bonheur, particulièrement de catholiques lui furent adressés de tous côtés. Les cléricaux avaient naturellement une autre idée là dessus et ne craignaient pas, plus tard, de répandre qu’il avait été expulsé. Le Garrec l’avait prévu, alors qu’il était encore au cloître et c’est ce qui lui fit choisir le moyen inattendu de la fuite. Immédiatement après, il publia les deux lettres qui se trouvent plus haut. Le Garrec y dit expressément que les mauvais traitements endurés à Cimiez ne furent pas la cause de sa fuite. Bien que son séjour à Cimiez ait été pour lui une vie dolorosa, ce ne fut pas même la cause de sa conversion, car il avait depuis longtemps déjà, accepté la voix du Christ. Le séjour au cloître le détacha du monde et lui donna la certitude qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes.

 

Il reçut la force de briser tous les ponts derrière lui et de s’attacher exclusivement au Rocher qui est appelé Christ.

 

Voix de catholiques au sujet de la sortie d’Elisée Le Garrec hors de l’église romaine

Immédiatement après sa sortie de l’église romaine et des ordres, Le Garrec reçut une quantité de lettres de ses anciens correligion­naires, regrettant et déplorant sa sortie. Il en vint de toute la France mais principalement de la Riviera, du Languedoc, des environs de Mâcon et du département du Rhône, régions où Le Garrec avait travaillé. Il en reçut également de l’étranger, no­tam­ment de Suisse, Angleterre, Belgique et Canada. Mieux qu’une description, elles donnent un aperçu de la personnalité de Le Garrec, et té­moignent combien père Elisée était aimé et honoré, tout au moins de ceux dans le cœur desquels se trouve quelquechose de la religion chrétienne. Ces lettres donnent aussi un in­té­res­sant aperçu sur la vie religieuse de ces âmes. L’étincelle divine qui est en eux ne peut pas se développer complè­tement, soit parce que leur cœur, à cause de leur éducation et de leur dépendance spirituelle croit encore aux erreurs romaines, soit parce qu’elles n’ont pas le courage de tirer jusqu’au bout les consé­quences des vérités qu’elles ont reconnues.

 

Nous donnons donc quelques unes des lettres en question, dans leurs passages essentiels.

 

Un prêtre, ami de jeunesse de Le Garrec écrit : «Dans Le Chrétien français je lis la nouvelle du changement qui s’est accompli dans ton existence. Tu penses ainsi quitter la foi de ton père et de ta mère? Tu te rappelles pourtant l’amour que nous t’avons témoigné; c’est cela qui cause notre peine. Je t’adjure de t’arrêter, je t’adjure de ne pas aller plus avant, de ne pas suivre plus longtemps un chemin où tu ne peux rencontrer que déceptions, et qui peut avoir pour toi des suites terribles… En ce qui me concerne, je suis prêt à n’importe quel sacrifice pour te sauver de l’abîme ouvert devant toi.»

 

D’une autre lettre, nous tirons ces propositions évangéliques :

«Pourquoi devrais-je ne plus vous écrire? Y a-t-il quelque part un commandement de Dieu, qui me le défende? Vous quittez l’église romaine, est ce que mon cœur doit pour cela se détourner du vôtre?

J’ai confiance en vous jusqu’au jour que nous ne verrons pas, où vous ne respecteriez plus en moi la foi catholique. Ma foi toute entière se fonde sur les œuvres et les paroles du Sauveur, et nullement sur les œuvres de ses représentants. Je sais que partout l’erreur, les abus, l’ambition, l’hypocrisie, la haine se sont glissées. Je confesse, qu’on peut faire son salut en dehors de l’Eglise romaine, si l’on a la foi!»

 

Un franciscain de Nîmes écrit :

«Au nom du ciel, mon père, n’allez pas plus loin, c’est déjà assez! Ne meurtrissez pas davantage le cœur de ceux qui vous ont connu. Je vous écris comme un fils à son bien aimé père! O si vous saviez comme tout cela me peine!

A Rome va être fêté un jubilé, allez à Rome, je prendrai le voyage à ma charge. Jetez-vous aux pieds du pape! Je ne dis pas que vous devez retourner au cloître, non vous êtes trop noble pour cette société, pour qui l’éducation de la noblesse est une chose inconnue.»

 

 

 

La lettre suivante de Nîmes nous permet de jeter un coup d’œil sur la précé­dente activité de Le Garrec comme franciscain.

 

Digne et cher père Elisée!

Depuis un an déjà, vous n’êtes plus parmi nous, et néanmoins votre souvenir est encore vivant dans nos cœurs. Comment pourrait-on vous oublier, quand on vous a vu au travail pour «l’Œuvre du Secré­­ta­riat du peuple», quand on a été témoin de vos longues séances au «Tribunal de la Miséri­corde»?

Les franciscains peuvent s’efforcer de vous enlever l’affection des popu­lations; vous n’en resterez pas moins à nos yeux le digne compagnon de notre cher père Marie, qui nous manque beaucoup, pauvre père Marie, que n’a-t-il pas dû supporter de leur part, lui aussi! Ils ont enfin réussi à l’exiler, l’affection toujours croissante du peuple pour vous deux chagrinait ces bons pères. C’était pourtant beau de vous voir, vous et le père Marie, de jour et de nuit, par la gelée et la chaleur, dans les rues et sur les grandes routes, avec des pieds souillés et saignants, porter la parole de Dieu à ceux qui en avaient besoin, frapper à la porte des riches, pour le bien des pauvres, et chercher à ceux-ci pain et travail, quand ils manquaient.

Quand les hommes comme vous mon père, se séparent de l’Eglise romaine, c’est qu’elle doit être d’un bois vermoulu. On dit que vous reviendrez bientôt à Nîmes; montrez-vous sans crainte, et faites-nous de nouveau entendre votre parole apostolique. Vous clouez au pilori l’hypocrite manière de vivre de vos anciens confrères, qui pensent n’avoir plus rien à faire quand ils ont bien mangé, bien bu et bien dormi.

 

La lettre qui suit est beaucoup plus remarquable; celui qui l’écrit est prêtre dans un des plus considé­rables diocèses de France; avec…

 

A suivre…

 

Korzle

Traduction libre de l’auteur

Retranscription et mise en forme : APV

Date de parution sur www.apv.org : 29.05.18/v.16.07.18

 

[1] N.d.l.r. : Aujourd’hui Belle-Ile-en-Mer.

[2] N.d.l.r. : André Bourrier (1852-1932) fut auteur et pasteur réformé à partir de 1897 (bachelier en théologie à la Faculté de théologie protestante de Paris). Anciennement prêtre du Diocèse de Marseille dès 1875, il quitta l’église catholique en 1895. Il dirigea les journaux suivants : Le Chrétien français (1897-1907), Le Chrétien (Sèvres) (1907-1915) et L’Action sacrée (1916-19…). Il vécut en Allemagne de 1902 à 1906 et écrivit également sous le pseudonyme de Daniel. Il est notamment l’auteur de Ceux qui s’en vont, 1895-1904, Paris : Librairie du Chrétien Franc̦ais, 1905.

[3] N.d.l.r. : Abréviation de «Révérend Père».

[4] N.d.l.r. : Abréviation de «Très Révérend».

Article écrit par Korzle E.

Autres contenus

Aucun article trouvé