L’arche de Noé sur une pièce de monnaie romaine
Les premières pièces de monnaie connues ont été frappées au VIIe siècle avant Jésus-Christ.[1] Depuis lors, les motifs imprimés sur les pièces ont représenté différents éléments estimés par les nations pour lesquelles elles ont été frappées; par exemple : leur religion, leurs politiciens, leur chef d’Etat, ainsi que divers symboles ou évènements historiques considérés comme importants.
La Rome impériale a émis une série de pièces en bronze, désormais rares, représentant l’arche de Noé − les premières pièces connues illustrant une scène biblique. Mesurant en moyenne 3 centimètres de diamètre, elles ont été émises durant les règnes de cinq empereurs romains : Septime Sévère, Macrin, Gordien III, Philippe[2] et Trébonien Galle, couvrant une période de soixante-et-un ans (192-253 apr. J.-C.).
Ces pièces furent toutes frappées dans la ville romaine d’Apamée Kibõtos (ou Cibotus, dans sa forme latinisée), en Asie mineure. C’était à l’origine une ville phrygienne, établie par Antiochos Ier (280-261 av. J.-C.), qui est actuellement la ville moderne de Dinar, en Turquie. La ville originelle phrygienne était appelée Apamée et, quelque part avant le passage au premier millénaire avant Jésus-Christ, il semble qu’on y ait ajouté le surnom «Kibõtos».[3] On pense que ce mot, qui signifie «coffre» ou «boîte», est une référence à ses coffres, car en prenant de l’importance, elle était devenue une ville très riche. «Kibõtos» (κιβωτός) est aussi le terme grec utilisé pour décrire l’arche de Noé dans le Nouveau Testament et la Septante.[4]
Genèse 8 décrit comment, alors que les eaux du déluge se retiraient, l’arche de Noé s’arrêta sur les montagnes de l’Ararat, dont on pense qu’elles se situent dans l’est de la Turquie actuelle. Bien qu’Apamée Kibõtos se trouve dans l’ouest, une tradition[5] émergea de la population juive de la région, comme quoi une montagne des environs était le véritable mont Ararat, sur lequel l’arche de Noé s’était posée. L’antiquité étant considérée favorablement dans le monde romain, ceci aurait contribué à donner plus d’importance à la ville. Ce lien évident aurait pu être exploité par ceux qui avancèrent l’idée de placer l’arche de Noé (le Kibõtos de Noé) sur le revers de la pièce de monnaie. Ceci aurait aussi pu jouer sur une légende phrygienne locale au sujet du déluge (sans arche) qui se référait au même mont avoisinant.
Juifs, chrétiens ou Romains?
La communauté juive d’Apamée Kibõtos est presque aussi ancienne que la ville elle-même; peu après sa fondation, un contingent de soldats juifs et d’administrateurs municipaux furent amenés de Babylone en Phrygie.[6] Pendant les quelques siècles suivants, davantage de Juifs furent amenés ou immigrèrent à Apamée Kibõtos. Comme indication de leur nombre et de leurs richesses à cette époque, le politicien et auteur romain Cicéron a noté qu’en 62 av. J.-C., le gouverneur romain d’Asie, Lucius Valerius Flaccus, saisit environ 50 kilos d’or aux Juifs de la ville qui l’envoyaient en offrande au temple de Jérusalem.[7] Leur influence directe sur l’image de la pièce de monnaie n’est pas connue.
Il y avait également une communauté chrétienne dans la région de la Phrygie, dès la première moitié du Ier siècle après Jésus-Christ déjà. Les Juifs de Phrygie sont mentionnés parmi ceux qui étaient présents le jour de la Pentecôte (selon Actes 2 : 10). Il est probable qu’en raison de l’importance d’Apamée Kibõtos dans la contrée, une communauté chrétienne y fut fondée dès les débuts de l’histoire de l’Eglise. Paul passa aussi du temps en Phrygie, fortifiant tous les disciples (Actes 18 : 23), et le premier ancien (évêque) de la ville dont on ait une trace écrite fut Julien d’Apamée (253 apr. J.-C.).
Comme ces pièces de monnaie ne furent pas frappées avant l’an 192 de notre ère, certains ont considéré que la principale influence à l’origine de leur émission aurait pu être chrétienne.[8] L’une des raisons à cela serait que pour les Juifs, «une stricte interprétation des nombreuses interdictions de pratiquer l’idolâtrie dans les Ecritures prohibait la représentation “d’images taillées” et, par conséquent, de toute forme humaine ou animale sur des pièces de monnaie».[9] Un fait qui s’ajoute à cette possibilité d’une influence chrétienne est que la seule autre image similaire connue datant de l’Antiquité, c’est-à-dire ne représentant que Noé et sa femme dans l’arche, fut produite par des chrétiens dans les catacombes de Rome (voir encart ci-dessous).
L’Arche dans les catacombes?
Il n’existe qu’une autre image connue, datant de l’Antiquité, représentant possiblement Noé et sa femme ensemble dans l’arche, seuls – qu’on trouve dans les catacombes chrétiennes de Rome.[10] La catacombe de la Via Latina[11], datant du IVe siècle, fut redécouverte en 1955 et cette image (fortement dégradée) est l’une des fresques de ses plafonds. Noé et sa femme sont représentés ensemble dans le coffre, en bas à gauche de l’image. La personne au-dessus pourrait être une personnification du temps [météo]; on pense qu’elle déverse les eaux sur eux depuis les écluses des cieux. La peinture de droite est une image de Noé dans l’arche, qui se trouve dans la même catacombe.[12] L’ancienne représentation en forme de coffre, bien que correspondant au terme «Kibõtos» (κιβωτός), ne reflète pas les véritables taille et proportions de l’arche, comme décrites dans les saintes Ecritures, et que CMI cherche toujours à représenter précisément.
La ville d’Apamée Kibõtos semble avoir apprécié de graver une série d’images historiques sur le revers de ses pièces de monnaie; ainsi, peut-être que représenter l’arche de Noé a été une manière, pour cette ville romaine, de reconnaître ou d’honorer ses citoyens juifs ou chrétiens.[13] Etant donné le mélange entre Romains, Juifs, chrétiens et les nombreux autres peuples de cette ville, l’histoire de l’arche de Noé et le fait que l’humanité descende des huit personnes qui en sortirent après le déluge semble approprié. C’est effectivement le point historique idéal à partir duquel on peut souligner l’unité de groupes de populations aussi divers.
Qu’y a-t-il sur la pièce de monnaie?
La face [ci-contre à gauche] de la pièce porte l’image et le nom de l’empereur qui, évidemment, change en fonction de l’époque de la frappe, mais dont les caractéristiques principales restent essentiellement les mêmes. Côté pile [ci-contre à droite], Noé est représenté avec sa femme à l’intérieur de l’arche, de forme parallélépipédique, avec des vagues léchant sa base. On peut clairement lire le nom de Noé en grec Nõe (ΝΩΕ) au milieu de l’arche. Au-dessus de celle-ci, sur la droite, se trouve le corbeau, et en haut à gauche, la colombe avec une branche d’olivier dans son bec. Sur la gauche de la pièce, Noé et sa femme sont à nouveau figurés, debout sur la terre ferme, à l’extérieur de l’arche, les mains levées vers Dieu dans la louange. Cette caractéristique importante montre qu’ils reconnaissent que Dieu s’est souvenu d’eux (selon Gen. 8 : 1), les ayant protégés au travers du déluge.
La forme utilisée pour représenter l’arche de Noé sur la pièce revêt un intérêt particulier : c’est celle d’un coffre − exactement ce que le mot grec Kibõtos (κιβωτός) signifie. Il n’y a pas d’éléments typiques de la forme d’un bateau hydrodynamique ni de quelconque dérive ajoutée au design de l’arche, comme on le voit si souvent aujourd’hui. La forme parallélépipédique est très distincte dans toutes les premières représentations de l’arche de Noé (voir encart ci-dessous).
L’arche sur d’autres pièces de monnaies
Depuis la pièce de monnaie romaine, l’arche de Noé a figuré sur un certain nombre de pièces modernes et de médailles telles que :
- Un ducat d’or de 1649, commémorant la fin de la guerre de Trente Ans, par la ville de Regensburg (Allemagne).
- Un jeton royal français de 1742.
- Franklin Mint, Thomason Medallic Bible de 1970.
- Une pièce de 10 lires du Vatican de 1975.
- Une pièce commémorative israélienne de 2 shekels de 1998.
- Un lingot d’argent de 500 drachmes arméniennes.
Histoire réelle
Le déluge de Noé fut un événement historique important, non seulement pour les Juifs et les chrétiens qui vivaient dans la ville, mais également pour les Romains, qu’ils l’aient compris ou non. Ceci montre qu’ils ont une histoire et un héritage communs, puisqu’ils descendent tous de Noé et de sa famille, comme tout un chacun aujourd’hui.
L’histoire représentée sur la pièce de monnaie parle d’une humanité déchue, descendante d’Adam, de Dieu jugeant le monde pour son péché par le déluge, mais se souvenant de Noé et le protégeant pendant le temps du déluge, raison pour laquelle il reçut une louange méritée. Le Nouveau Testament indique que l’arche est une «image» de Jésus (selon I Pierre 3 : 20, 21); venir à lui dans la foi et la repentance garantit la délivrance du jugement de Dieu sur le péché. Ainsi l’histoire sur la pièce de monnaie peut être utilisée par les chrétiens pour amener les gens à Jésus, le Sauveur du monde.
Philip Robinson
Source : Site internet Creation Ministries International, Vol. 40, Numéro 3 – 07.18
Titre original : Noah’s ark on a roman coin
Traduction et mise en forme : APV
Date de parution sur www.apv.org : 09.12.19
[1] Site The British Museum – The origins of coinage («Les origines des monnaies»). Les premières pièces de monnaie ont été produites dans le royaume de Lydie (actuelle Turquie de l’ouest), et ont été frappées en électrum (or blanc), un mélange naturel d’or et d’argent.
[2] N.d.t. : L’article original ne le précise pas, mais il s’agit probablement de Philippe l’Arabe, avec son fils Philippe II.
[3] Trebilco P., Jewish communities in Asia minor («Communautés juives en Asie mineure»), Cambridge University Press, Cambridge, p. 90, 1991.
[4] La principale traduction grecque de l’Ancien Testament, env. 250 av. J.-C.
[5] Ceci est consigné dans le livre 1:320 des Oracles sibyllins, une collection de livres grecs qu’on estime avoir été écrits au IIe ou IIIe siècle après Jésus-Christ.
[6] Flavius Josèphe, Antiquities («Les antiquités juives» ou «Les antiquités judaïques»), 12.3.4.
[7] Cicéron, Pro Flacco (In defense of Lucius Valerius for extortion) («A la défense de Lucius Valerius Flaccus pour extorsion»). Les informations appropriées peuvent être trouvées dans la section 68.
[8] Site Warwick Blogs – Collier S., Noah’s ark in roman Apamaea («L’arche de Noé dans l’Apamée romaine»), 3 août 2016 // Thonemann P. et Price S., The birth of classical Europe : A history from Troy to Augustine («La naissance de l’Europe classique : Une histoire de Troie à Augusta»), Allen Lane, Londres, chapitre 8, 2010.
[9] Friedberg A., Coins of the Bible («Pièces de monnaie de la Bible»), Whitman publications, Atlanta, p. 44, 2004.
[10] Kötzsche-Breitenbruch L., Die neue Katakombe an der Via Latina in Rom («La nouvelle catacombe de la Via Latina à Rome»), Aschendorffsche Verlagsbuchhandlung, Münster Westfalen, pp 51-54, 1976.
[11] Tronzo W., The Via Latina catacomb («La catacombe de la Via Latina»), Penn State University Press, Pennsylvanie, USA, 1986.
[12] Les catacombes (numérisées) sont visibles sur Google Maps. / N.d.t. : A ce lien, on peut visiter virtuellement celles de Priscille (à Rome), restaurées depuis 2013 : Google Maps – Catacombs of Priscilla.
[13] Trebilco, réf. 2, p. 87.