Les mots du siècle
Introduction
Depuis plusieurs années, je prête attention au langage utilisé par mes contemporains francophones. Je relève les mots qui deviennent à la mode dans les médias, j’écoute les personnes de mon entourage et j’observe mon propre vocabulaire : celui que j’adopte, celui que j’abandonne et celui que je choisis délibérément de ne pas utiliser.
L’identité spirituelle des mots
J’ai toujours aimé les mots, le langage, bien que je n’aie aucune qualification en linguistique. Mais je suis très sensible à ce que notre parler véhicule. Puisque notre monde matériel est la manifestation de réalités spirituelles, il y a évidemment une dimension spirituelle derrière le langage. Chaque mot qui prend de l’essor ou nouveau terme qui apparaît émane d’une impulsion spirituelle. «Les mots sont les signes des idées, et naissent avec elles (…)»[1]. Un idiome est d’ailleurs l’«ensemble des moyens d’expression d’une communauté correspondant à un mode de pensée spécifique.»[2] Or tout mode de pensée découle d’une orientation spirituelle – qui ne peut pas être neutre : elle est soit christique, soit antichristique (Matthieu 12 : 30 : Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, et celui qui n’assemble pas avec moi disperse).
Bien entendu, il ne s’agit pas non plus de tout spiritualiser : des phrases comme «Le chien mange sa pâtée» ou «Il enfonce un clou avec un marteau» n’ont pas d’implication spirituelle en soi, même si on remplaçait «chien», «pâtée», «clou» et «marteau» par des néologismes ou des mots plus modernes. Mais vous avez peut-être remarqué que la plupart des terminologies et expressions à la mode n’ont pas trait aux choses matérielles, mais à des concepts abstraits : philosophiques, spirituels ou moraux. Et c’est de ces dernières que je veux parler, parce qu’elles sont symptomatiques du climat spirituel de notre époque.
Le monde actuel ne vit pas encore sous la domination de Jésus-Christ, qui fait preuve de patience pour revenir (II Pierre 3 : 9 : Le Seigneur ne tarde pas dans l’accomplissement de la promesse, comme quelques-uns le croient; mais il use de patience envers vous, ne voulant pas qu’aucun périsse (…) / Romains 8 : 22 : Or, nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement). Aussi, la plupart des terminologies émergeantes ne sont-elles pas inspirées par l’Esprit de Dieu, et par conséquent s’y opposent. Soyons honnêtes : les néologismes de notre époque ne visent ni à exalter notre Dieu (pourtant, le vocabulaire du chrétien moyen pour adorer son Dieu aurait grand besoin d’être enrichi), ni à édifier notre foi, ni à mieux communiquer l’Evangile. C’est pourquoi je choisis parfois de ne pas utiliser un nouveau mot ou une expression à la mode, même si je l’entends continuellement autour de moi : j’essaie d’abord d’être attentive à ce qu’il/elle dispense, de percevoir quelle est sa substance spirituelle.
L’impact des mots
Pourquoi? Parce que les paroles que nous prononçons ne sont pas anodines, ni sans effet (Proverbes 18 : 21 : La mort et la vie sont au pouvoir de la langue…). Le Dieu vivant lui-même a créé le monde et tout ce qui s’y trouve par sa Parole – Jésus. Les mots ont donc une identité spirituelle et un effet sur notre environnement. Ils sont les vecteurs d’une orientation spirituelle qui nous influence et qui a un impact sur les personnes à qui nous les disons (Esaïe 55 : 11 : Ainsi en est-il de ma parole, qui sort de ma bouche : elle ne retourne point à moi sans effet, sans avoir exécuté ma volonté et accompli mes desseins). Et je crois que les paroles inspirées de l’esprit antichrist ont également un effet sur tous ceux qui les écoutent.
Les mots utilisés par les médias d’aujourd’hui visent à influencer la pensée des «consommateurs d’infos», en les matraquant de «néologismes de circonstance» ou d’expressions et de termes choisis, progressivement et insidieusement redéfinis, «remis au goût du jour», sous prétexte que nous parlons une langue vivante. Si la signification d’un mot peut s’enrichir au fil du temps, un terme peut-il pour autant perdre sa substance au point d’être utilisé comme un antonyme de son sens premier? Cette pratique est pourtant devenue chose commune, trop souvent à notre insu.i
Petit lexique des mots du siècle que j’ai choisi d’éviter
Puisque nous fonctionnons par mimétisme, nous avons tendance à répéter ce que nous entendons, et surtout ce que nous entendons souvent. Nous devons comprendre que les mots que nous entendons et utilisons forgent nos pensées, et donc nos idées, avant d’en être le reflet (Romains 10 : 17 : Ainsi la foi vient de ce qu’on entend, et ce qu’on entend vient de la parole de Christ). Mais il en va de même pour l’anti-foi transmise par des paroles anti-bibliques. Voici donc ce petit lexique personnel et subjectif, fruit d’une réflexion que je me fais depuis quelque temps.
Ludique et festif
Il y a quelques années, j’ai constaté une recrudescence de l’utilisation de ces deux mots. Je les trouvais presque omniprésents dans le paysage médiatique. On exaltait donc ce qui est ludique et festif : il fallait être ludique et festif. Pour avoir du crédit, ce que l’on faisait ou organisait devait être ludique et festif, bref, ces deux qualificatifs étaient pratiquement devenus des synonymes du bien – voire la redéfinition de ce mot. En d’autres termes, tout ce qui se faisait, se pensait et se disait devait s’inscrire dans une orientation d’amusement et de fête. Etant sous-entendu que tout ce qui sortait de ce cadre était désuet, rigide et ringard. Puis ces deux adjectifs ont été un peu moins utilisés pour faire place à ce que je considère comme l’une des plus détestables expressions de notre époque…
…«C’est que du bonheur»
Nous avons donc passé au stade suivant : il ne suffit plus de s’amuser en tout et de faire de tout une fête; le but est désormais d’expérimenter le bonheur exclusif et total dans tout ce que nous faisons, disons ou pensons. «La philosophie de notre temps est devenue l’humanisme (…) qui déclare que la fin de toute chose est le bonheur de l’homme. (…) Et selon l’humanisme, le salut consiste simplement à tirer tout le bonheur que l’on peut tirer de la vie.»[3] Alors que bibliquement, la fin de toute chose est la gloire de Dieu et non le bonheur de l’homme.
…«pas de souci»
Mais pour parvenir à ce «bonheur total», il faut… ne pas se faire de souci. Avant, on répondait «pas de problème», pour indiquer qu’on allait pouvoir satisfaire une demande, même si elle comportait des difficultés. Aujourd’hui, cette sale race – les problèmes – est éradiquée. La «religion de la facilité» permet de les contourner sans les résoudre. Il n’y a plus que ce dernier fléau à vaincre : le souci. Il faut que ce concept soit définitivement éliminé et que le peuple comprenne qu’il n’a aucun souci à se faire pour l’avenir («Du pain et des jeux!»). Comme il est dit dans I Corinthiens 15 : 32 : (…) si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons, car demain nous mourrons! Or Jésus n’a jamais dit que le souci n’existe pas. Il nous a dit de nous en décharger sur lui, après s’être humiliés sous sa puissante main (I Pierre 5 : 6-7), ce qui n’enlève rien à ce qu’il nous a annoncé sur la fin des temps, qui constitue une raison plus que valable de se faire du souci pour qui ne l’a pas encore accepté comme son Seigneur.
«Ça le fait» ou «ça le fait pas»
Que quelqu’un qui utilise couramment cette locution parvienne à m’expliquer ce qu’elle signifie vraiment! Qui me révélera ce qui se cache derrière ce mystérieux «le»? «Ça le fait». Pour rappel, «le» est un pronom, censé donc remplacer un nom. Je cherche le nom… et je vous laisse avec la question : «ça fait quoi?» Rien et tout à la fois : personne ne le sait et tout le monde s’en fiche, tout comme d’utiliser à profusion une expression dont on ne saisit pas réellement le sens. Je viens d’un temps préhistorique où l’on choisissait à la place de celle-ci une formulation spécifique, selon les circonstances[4]. Or l’«expression» susmentionnée est idéale pour notre époque : parfaitement vide de sens, elle peut s’appliquer à toutes les situations et signifier tout ce qui nous arrange qu’elle signifie. De plus elle permet de faire une immense économie de vocabulaire… C’est cela, je pense, l’avenir du langage : un nombre hyper-restreint de mots auxquels chacun donnera le sens qu’il veut. C’est d’ailleurs ce qui se passe déjà avec la Parole de Dieu. Rares sont les chrétiens soucieux de savoir ce que dit vraiment le terme biblique dans sa langue originale. La plupart préfèrent débattre et interpréter le texte selon leurs concepts et leur ressenti.
Conclusion
Soyons attentifs à ce que nous disons, appliquons-nous à percevoir ce qui est véhiculé par les mots et expressions que nous utilisons et entendons. Ayons la force de caractère de nous démarquer de ce siècle en choisissant de ne pas répéter certaines des choses que nous entendons… à longueur de journée, parfois.
Que chacun se sente libre dans cette démarche. Je ne jette la pierre à personne. Je suis la première à affectionner certains termes familiers qui, je le trouve, expriment de façon plus intense ce que je voudrais dire. Mais ce que j’ai découvert sur les racines de l’argot et du verlan, par exemple, m’ont conduite à en abandonner l’usage…i
Parce que le langage est loin d’être un terrain neutre sur lequel ne se livre aucune bataille spirituelle. Au contraire! Pensez par exemple aux manuscrits authentiques de la Bible (textus receptus) – dont sont issues les premières versions datant de la Réforme – qui furent modifiés à un moment donné par des non-chrétiens et sur lesquels se basent toutes nos versions modernes! Ecoutez les médias, écoutez les philosophes contemporains… la grande guerre de notre temps ne se mène pas avec des armes mais avec des mots, sur le terrain de nos pensées! Ou peut-être s’est-elle toujours menée ainsi…
Natacha Niklaus
i Je développerai ce(s) sujet(s) ultérieurement.
[1] Encycl. (Diderot), art. Langue.
[2] Dictionnaire Robert
[3] Paris Reidhead
[4] «ça fait bien», «ça te va comme un gant», «c’est vraiment joli», «ça me convient» ou (pour la forme négative) : «ça va pas», «ça marche pas comme prévu», «je ne vais pas y arriver», etc., etc., etc.