Les origines chrétiennes de la Suisse : mythe ou réalité?
Les pactes suisses[1]
Il y a d’abord eu de nombreuses alliances et accords passés entre deux ou plusieurs cantons, comme il était de coutume de le faire au Moyen Age. Leur principal but était de protéger la vie et les possessions de leurs signataires, ainsi que de maintenir une paix territoriale, en se prêtant mutuellement main forte contre des ennemis tiers. Selon le Dictionnaire historique de la Suisse, «au bas Moyen Age, tout détenteur de pouvoir revendiquait le droit de conclure des alliances (…)» mais seuls quelques-uns de ces documents «survécurent à long terme, pour se voir attribuer finalement une importance qu’ils n’avaient pas à l’origine». En outre, «(…) il ne pouvait être question de “fonder un Etat” par ce moyen, car le pouvoir reposait alors, non pas sur des alliances, mais sur des droits et possessions héréditaires, sur des liens féodaux et sur des privilèges impériaux.»
«Dans son ensemble, la Confédération était un réseau complexe de pactes (…). Il n’y avait pas de droit confédéral valable pour tous les cantons, mis à part la Charte des prêtres (1370), le convenant de Sempach (1393) et celui de Stans (1481). (…) La fusion de toutes les alliances dans un pacte unique fut proposée plusieurs fois entre 1481 et le milieu du XVIIe siècle (…), mais toujours refusée.»
Pour que les pactes des confédérés puissent constituer les bases d’un Etat, il fallut que Zurich rompe ses liens avec l’Autriche, en 1450, sous la pression des autres cantons.
«Vers le milieu du XVe siècle, les pactes furent aussi mis en relation avec les mythes fondateurs de la Confédération, qui commençaient alors à prendre forme (…). La nouvelle rédaction des pactes lucernois, zurichois et zougois (1454), puis glaronais (1473) contribua au déploiement de ce mythe des alliances. (…)»
«L’idée du caractère particulier des alliances confédérales se développa en même temps que se concrétisait une conscience nationale. Parmi la multitude des traités du bas Moyen Age, on ne prêta plus attention qu’à ceux qui survivaient et pouvaient servir à forger une identité. On assigna aux anciens accords des buts conformes non pas aux intentions de leurs acteurs, mais aux préoccupations et à la situation politique du XVe siècle. Les anciens pactes, y compris celui de 1291, retrouvé en 1758, reçurent une nouvelle signification et furent placés sur un piédestal où ils restèrent même après avoir perdu pratiquement leur validité. (…)»
Les principaux pactes suisses[2]
- Pacte fédéral – 1291
- Pacte de Brunnen – 1315
- Pacte de Lucerne – 1332
- Pacte de Zurich – 1351
- Pacte de Glaris et pacte de Zoug – 1352
- Pacte de Berne – 1353
- Charte des prêtres – 1370
Le Pacte fédéral de 1291[3]
«La mort de l’empereur Rodolphe Ier de Habsbourg le 15 juillet 1291, et les inquiétudes qu’elle provoqua, semblent avoir été à l’origine de cette alliance.»
«Il est considéré comme le plus ancien texte constitutionnel suisse. Par ce pacte, les communautés des vallées d’Uri, de Schwyz et de Nidwald, se sont juré un soutien mutuel contre toute personne extérieure susceptible de les attaquer ou de leur causer du tort. (…) [Il] n’est considéré officiellement comme acte fondateur de la Confédération suisse que depuis la fin du XIXe siècle. Cette reconsidération est en grande partie due au Conseil fédéral, qui s’est appuyé sur ce document pour organiser une fête de jubilé en 1891, puis pour déclarer le 1er août fête nationale à partir de 1899. (…) L’origine de la confédération suisse est également associée au légendaire serment du Grütli (…). [Le Pacte fédéral] a été utilisé pour renforcer la cohésion de l’Etat fédéral démocratique. (…)» Dès 1930, il «est devenu un symbole d’union face aux menaces extérieures. (…) A la fin du Moyen Age, ce pacte, qui n’était d’ailleurs pas unique en son genre, n’avait toutefois pas l’importance qu’on lui accorde aujourd’hui. Il s’agissait d’une simple alliance de paix parmi d’autres. (…) De fait, il semblerait que le pacte conclu en 1291 entre les vallées suisses ait été oublié pendant des siècles avant d’être redécouvert en 1758 dans les archives du canton de Schwyz. Contrairement au Pacte fédéral de 1315 (Pacte de Brunnen), celui de 1291 n’a eu aucune incidence sur la politique de l’ancienne confédération. (…)»
Sa version originale était en latin. Il renouvelait le texte d’un ancien pacte, aujourd’hui perdu et dont on sait très peu de choses.
Le pacte commence par «Au nom du Seigneur, amen» (in nomine domini amen). Il mentionne des «mesures prises en vue de la sécurité et de la paix» «pour être mieux à même de défendre et maintenir dans leur intégrité leurs vies et leurs biens», et le fait que les signataires se sont engagés «sous serment pris en toute bonne foi, à se prêter les uns aux autres n’importe quels secours (…)», etc. Il stipule aussi que les signataires ne reconnaîtront pas un juge étranger dans leurs vallées. La conclusion du pacte débute ainsi : «Les décisions ci-dessus consignées, prises dans l’intérêt et au profit de tous, doivent, si Dieu y consent, durer à perpétuité» et il est daté comme suit : «Fait en l’an du Seigneur 1291 au début du mois d’août.»
Le Serment du Grütli[4]
Ce serment a eu lieu en 1307, sur la prairie du Grütli, dans la forêt qui domine le lac d’Uri, entre les hommes libres des vallées d’Uri, Schwytz et Unterwald, représentés par Arnold de Melchtal, Walter Fürst et Werner Stauffacher. «Selon les mythes fondateurs de la Confédération, dont le plus ancien témoignage se trouve dans le Livre blanc de Sarnen [1470], le Grütli était le lieu de rencontre secret des premiers Confédérés lors de leur conjuration contre les baillis autrichiens. (…)
La découverte du Pacte [fédéral] daté du début d’août 1291 et la critique des sources par les historiens conduisirent dès 1845 à une révision des récits traditionnels et à une longue dispute à propos de la date de naissance de la Confédération, 1291 ou 1307.» Malgré les incohérences et l’absence de preuves historiques, ce serment reste considéré depuis le XIXe siècle comme l’acte fondateur de notre pays.
Or le texte qui mentionne le serment dans le Livre blanc de Sarnen[5] (pp 39 et 41) ne fait pas mention de Dieu. Il semblerait que ce soient la tradition orale – incertaine – puis les auteurs d’œuvres inspirées de cette légende, tel le drame Wilhelm Tell de Schiller en 1804, qui aient amené cette notion du Dieu Très-Haut (höschsten Gott)[6] ou du Dieu trinitaire (der dreieinige Gott)[7]. Dans tous les cas, cette dernière est une désignation catholique de Dieu et non biblique.
Le Pacte de Brunnen de 1315[8]
Jusqu’en 1891, ce pacte était généralement considéré comme l’acte fondateur de la Suisse. Il fut signé le 9 décembre 1315 par les Waldstätten (Uri, Schwytz et Unterwald), en renouvellement du pacte de 1291, après qu’ils eurent remporté la bataille de Morgarten, le 15 novembre 1315. Ce pacte renforce le précédent et fixe une politique étrangère commune aux trois signataires.
C’est dans ce pacte, rédigé en allemand, que le terme «Eidgenossen» (littéralement : «compagnons liés par un serment», traduit en français par «confédérés») apparaît pour la première fois. Le texte commence aussi par «Au nom de Dieu, Amen!» et est daté de «l’an 1315 de la naissance de notre Seigneur Jésus-Christ». Pour le reste, il vise à mettre par écrit ce que les confédérés ont convenu pour «la paix, la tranquillité, l’avantage et l’honneur des hommes» et, parce qu’ils pressentent des temps difficiles, «afin de pouvoir mieux jouir de la paix et du repos, défendre et conserver nos corps et nos biens», ils s’engagent par serment à s’entraider et à se porter secours mutuel.
La Charte des prêtres de 1370
Cette charte est importante car elle limite le pouvoir juridique de l’Eglise de Rome sur notre territoire qui y est nommée pour la première fois «Confédération». Elle statue que les «ecclésiastiques non sujets du pays ne pouvaient se réclamer d’un tribunal étranger ou ecclésiastique que pour des affaires d’ordre spirituel et matrimonial», que «même les vassaux de l’Autriche habitant sur leur territoire leur devaient allégeance, et que ce lien primait tout autre en cas de conflit». «Bien qu’elle limitât le pouvoir de l’Eglise, la charte n’exprimait pas une attitude anticléricale, mais manifestait plutôt l’intention des autorités de s’imposer en tant que telles, dans le domaine judiciaire et militaire, sur le territoire des cantons et de la Confédération qu’ils formaient, désignée pour la première fois par “unser Eydgnoschaft” (notre Confédération).» «Elle marque le passage à une conception juridique fondée sur le droit territorial (…).»[9]
Premières conclusions
Le but de la conclusion de pactes et d’alliances à l’époque concernée était politique et stratégique (ou militaire). Il n’y a aucune indication que les pactes fédéraux auraient été rédigés sur la base ou avec l’objectif d’un idéal religieux commun. Rien non plus, dans ces textes fondateurs de notre nation, n’indique une consécration commune pour servir les intérêts du Dieu vivant; il ne s’agit que de mesures pragmatiques visant à s’unir pour être plus forts dans un monde hostile, afin de préserver ses propres intérêts.
Le fait de conclure un pacte au nom de Dieu et de le citer en conclusion démontre qu’une certaine crainte de son nom régnait à l’époque, qu’on souhaitait se placer sous sa bénédiction et qu’on reconnaissait que ses propres plans étaient subordonnés aux Siens. Or la pensée et le pouvoir dominants de l’époque étaient le catholicisme. Aussi est-il difficile de mesurer quelle était la part de conformisme politique, celle de superstition et celle de foi sincère dans le choix de ces formulations. En tant que chrétiens vivant aujourd’hui dans un monde post-chrétien, nous devons donc retenir notre enthousiasme à tirer la conclusion trop hâtive que nos «ancêtres fondateurs» étaient des disciples de Jésus-Christ ou même des chrétiens sincères. Les documents à notre disposition ne suffisent pas à le prouver.
Les constitutions suisses
L’actuelle constitution suisse date de 1999. Elle en est la troisième version, après celles de 1848 et de 1874. Mais plusieurs étapes ont précédé ces dernières :
- Constitution de la République helvétique – 1798
- Acte de Médiation – 1803
- Pacte fédéral – 1815
La République helvétique de 1798
«Nom officiel de l’entité étatique créée en Suisse le 12 avril 1798, à la place de l’ancienne Confédération, et qui se maintint jusqu’au 10 mars 1803. (…) Son territoire comprenait la plus grande partie de la Suisse actuelle (…).»[10]
«Les idéaux de la Révolution française se répandent dès 1789 en Suisse. Les principes de liberté, égalité et fraternité gagnent peu à peu le pays.» [11]
«Exploitant le mécontentement des élites rurales dans les pays sujets et celui des bourgeois éclairés dans les cantons villes, la France encourage de manière ciblée les efforts des partisans de la révolution. Celle-ci éclate en janvier 1798 à Bâle et dans le Pays de Vaud, puis s’étend rapidement (Révolution helvétique);»
«L’armée de Napoléon Bonaparte envahit la Confédération des treize cantons en 1798. Une République helvétique est instaurée et le pays se voit imposer une Constitution mettant au jour un Etat unitaire basé sur le modèle français.»
Brève analyse de cette constitution[12]
Quelques éléments importants en lien avec notre thème :
- L’article 4 stipule que «Les deux bases du bien public sont la sûreté et les lumières (…)».
- 5 – «La liberté naturelle de l’homme est inaliénable; elle n’est restreinte que par la liberté d’autrui et des vues légalement constatées d’un avantage général nécessaire. (…)»
- 6. – «La liberté de conscience est illimitée; la manifestation des opinions religieuses est subordonnée aux sentiments de la concorde et de la paix. Tous les cultes sont permis s’ils ne troublent point l’ordre public et n’affectent aucune domination ou prééminence. La police les surveille et a le droit de s’enquérir des dogmes et des devoirs qu’ils enseignent. Les rapports d’une secte avec une autorité étrangère ne doivent influer ni sur les affaires politiques, ni sur la prospérité et les lumières du peuple.»
- 14. – «Le citoyen se doit à sa patrie, à sa famille et aux malheureux. (…) Il ne veut que l’ennoblissement moral de l’espèce humaine; il invite sans cesse aux doux sentiments de la fraternité; sa gloire est l’estime des gens de bien, et sa conscience sait le dédommager du refus de cette estime.»
Cette constitution est fondée sur la pensée dominante de la France de l’époque : les Lumières, mouvement philosophique engagé contre l’«obscurantisme religieux» des siècles précédents (c’est pourquoi y ressort aussi clairement le contrôle de l’Etat sur tout ce qui est religieux), humanisme athée et anti-Dieu, qui cultive l’illusion que l’être humain s’améliore par l’acquisition de savoirs et qu’il peut accéder à la liberté sans Dieu.
Certes, cette constitution nous a été imposée par la France; or nous verrons plus loin qu’elle a influencé et imprègne encore fortement l’actuelle, bien que la Suisse ne soit plus sous le joug français depuis longtemps…
L’acte de Médiation de 1803
Après l’échec de la République helvétique, le 19 février 1803, «Bonaparte, alors premier consul en France, fait rédiger une nouvelle constitution. La Suisse redevient une confédération formée de dix-neuf cantons qui sont autant d’Etats souverains. Il n’y a plus de capitale.»[13]
Le Pacte fédéral de 1815[14]
L’Acte de Médiation est aboli par la diète de Zurich, en décembre 1813, à la suite des défaites de Napoléon, notamment à la bataille de Leipzig. Les Suisses doivent se trouver une nouvelle constitution, mais ils ont de la peine à se mettre d’accord.
Les vingt-quatre cantons et demi-cantons se constituent finalement en Confédération suisse et c’est la première fois que cette dénomination apparaît.
«Le Pacte fédéral comptait quinze articles. Il assurait surtout la liberté des cantons; il ne mentionnait qu’indirectement les libertés civiques, à travers l’interdiction des liens de sujétion. Le pouvoir central, dont l’organe était la Diète (…), n’avait guère de compétences, sinon dans le domaine militaire. (…) il finit par être abrogé et remplacé par la Constitution fédérale de 1848, à la suite de la guerre du Sonderbund (1847), (…).»[15]
Il est rédigé «Au nom du Tout Puissant» et sa conclusion stipule : «(…) et afin qu’un acte aussi important pour le salut de la patrie commune reçoive, selon l’usage de nos pères, une sanction religieuse, ce pacte fédéral sera non seulement signé par les députés de chaque Etat, autorisés à cet effet, et muni du nouveau sceau de la Confédération, mais encore confirmé et corroboré par un serment solennel au Dieu tout-puissant.»[16]
Il faut relever que c’est la première ébauche de constitution rédigée au nom de Dieu, après le lointain Pacte de Brunnen de 1315. Les deux précédentes, édictées par la France, n’en faisaient aucune mention. C’est une excellente chose, mais sa conclusion nous montre que cette orientation tient avant tout d’une tradition religieuse et culturelle.
Les constitutions fédérales de 1848, 1874 et 1999
«La Constitution fédérale de 1848 fut la première que le peuple suisse se donna lui-même. Après l’échec des révolutions dans les Etats voisins, elle fit de la Suisse de la seconde moitié du XIXe siècle une île démocratique et républicaine au cœur de l’Europe monarchique. (…) pour que les conservateurs catholiques se réconcilient avec l’Etat fédéral radical, il fallut la révision de 1874, qui introduisit une démocratie non plus représentative, mais semi-directe. La révision partielle de 1891 apporta le droit d’initiative. Si celui-ci permit à la loi fondamentale d’évoluer, il la transforma peu à peu en une sorte de patchwork, (…). Lancée dès les années 1960, l’idée d’une révision totale mit plus de trente ans pour aboutir. On finit par admettre que le texte de 1874, peu à peu enrichi, ne remplissait plus ses fonctions d’orientation et d’intégration, à cause de sa langue vieillie, de son hétérogénéité et de certaines dispositions dépassées. En 1999, le peuple et les cantons adoptèrent la constitution actuelle.»[17]
Evolution des préambules[18]
Ces trois constitutions commencent par «Au nom de Dieu Tout-Puissant!» La suite du préambule est la même dans celles de 1848 et de 1874 : «La Confédération suisse, voulant affermir l’alliance des confédérés, maintenir et accroître l’unité, la force et l’honneur de la nation suisse, (…)»
Celle de 1999, en revanche, bien qu’elle conserve le nom de Dieu, dénote un changement d’orientation radical : «Le peuple et les cantons suisses, conscients de leur responsabilité envers la Création, résolus à renouveler leur alliance pour renforcer la liberté, la démocratie, l’indépendance et la paix dans un esprit de solidarité et d’ouverture au monde, déterminés à vivre ensemble leurs diversités dans le respect de l’autre et l’équité, conscients des acquis communs et de leur devoir d’assumer leurs responsabilités envers les générations futures, sachant que seul est libre qui use de sa liberté et que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres, (…)»
Sans mettre de côté les nombreux idéaux louables de ce préambule, nous devons nous départir d’une certaine «naïveté chrétienne» qui nous ferait trop rapidement prêter des intentions bibliques à des personnes ou des institutions qui n’en ont pas. Nous savons d’expérience que nos autorités ne sont pas en faveur du Dieu Créateur; le terme «Création» fait ici référence à l’environnement, et plus précisément à un militantisme écologiste à but très lucratif déguisé sous les bonnes intentions de nos «responsabilités envers les générations futures».
Les aspects de vivre ensemble ses diversités dans le respect de l’autre et l’équité, en étant conscients des acquis communs préfigurent clairement une déchristianisation de notre pays, par une mise sur le même pied d’égalité du droit de toutes les religions représentées en Suisse. Seule une méconnaissance totale de la nature même de l’islam peut permettre une telle orientation, cette religion ne se confinant jamais à la sphère religieuse privée, comme notre «christianisme» institutionnel. Etant au contraire intrinsèquement militante, elle contrôle, dès qu’elle en a le pouvoir suffisant, non seulement le religieux, mais aussi les domaines politique, social et de la vie privée. Les musulmans en Suisse étant à ce jour cinq à dix fois plus nombreux que les évangéliques,[19] la voie de la démocratie suffira à imposer leurs vues progressivement, à moins que la majorité silencieuse des chrétiens de nom ne se réveille à temps.
Evolution des textes
La Constitution de 1848[20] garantit certains droits aux citoyens, dont la liberté de religion et de la presse (articles 44 et 45). Article 44 : «Le libre exercice du culte des confessions chrétiennes reconnues est garanti dans toute la Confédération. Toutefois les Cantons et la Confédération pourront toujours prendre les mesures propres au maintien de l’ordre public et de la paix entre les confessions.» En 1866, une tendance «à l’ouverture aux autres religions» se dessine; on supprime les termes «de l’une des confessions chrétiennes» de l’article 41 : «La Confédération suisse garantit à tous les Suisses de l’une des confessions chrétiennes le droit de s’établir librement dans toute l’étendue du territoire suisse (…)»
Difficile de savoir quel était le degré de liberté de religion de nos frères et sœurs de l’époque qui n’appartenaient pas aux «confessions chrétiennes reconnues» (protestante et catholique), ni si la modification de 1866 signifia pour eux plus de liberté…
Quelques éléments notoires apparaissent dans la Constitution de 1874[21]. Article 49a : «La liberté de conscience et de croyance est inviolable.» La suite de cet article stipule notamment que nul ne peut «(…) encourir des peines, de quelque nature qu’elles soient, pour cause d’opinion religieuse» et que «La personne qui exerce l’autorité paternelle ou tutélaire a le droit de disposer, conformément aux principes ci-dessus, de l’éducation religieuse des enfants jusqu’à l’âge de 16 ans révolus.» Relevons l’article 27c : «Les écoles publiques doivent pouvoir être fréquentées par les adhérents de toutes les confessions, sans qu’ils aient à souffrir d’aucune façon dans leur liberté de conscience ou de croyance.» A l’article 50, le libre exercice des cultes n’est désormais plus limité à ceux des confessions chrétiennes reconnues. Un autre élément intéressant à l’article 51 : «L’ordre des jésuites et les sociétés qui lui sont affiliées ne peuvent être reçus dans aucune partie de la Suisse, et toute action dans l’Eglise et dans l’école est interdite à leurs membres. (…)»
A l’époque, ces lois constituaient une avancée pour les chrétiens «non dénominationnels». A partir du moment où la religion chrétienne n’est plus la principale en Suisse, la donne change passablement…
Dans la Constitution de 1999[22], selon l’article 8, «Nul ne doit subir de discrimination du fait (…) de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques (…).» La liberté de réunion est garantie (article 22) tout comme, dans le domaine de l’éducation, celle de «l’enseignement et de la recherche scientifique» (article 20). Suite à la votation du 29 novembre 2009, l’alinéa 3 a été ajouté à l’article 72-Eglise et Etat : «La construction de minarets est interdite.» «Dans l’article 15, «Toute personne a le droit de choisir librement sa religion ainsi que de se forger ses convictions philosophiques et de les professer individuellement ou en communauté»; en revanche, la liberté de conscience et de croyance n’est plus inviolable, mais seulement garantie. Le terme «inviolable» revêtait une notion de sacré, d’intangible; pourquoi a-t-il été remplacé par un mot plus faible? Dans l’article 2, apparaît la favorisation de la «diversité culturelle du pays». L’aspect de l’autorité paternelle ou parentale en matière d’éducation religieuse a disparu. L’article concernant les jésuites également. Plus trace non plus de l’article sur la discrimination religieuse à l’école; nous sommes témoins que de telles discriminations ont eu lieu avant 1999, alors qu’elles étaient encore anticonstitutionnelles…
Si les droits fondamentaux en matière de convictions religieuses sont pour l’instant préservés par notre constitution, la tendance est au multiculturalisme et par conséquent à la régression du christianisme, même institutionnel, au même rang que toute autre religion représentée en Suisse. Vu la présence de l’islam dans notre pays, cette orientation revient automatiquement à une diminution de la liberté religieuse pour les chrétiens et à la remise en question certaine de ce que notre constitution compte encore de valeurs chrétiennes.
Le drapeau suisse
«Dans la première moitié du XVe siècle encore, il n’y avait pas de drapeau fédéral; les Confédérés entraient en campagne sous la bannière ou le pennon de leur canton; comme signe de reconnaissance commun, ils fixaient à leurs drapeaux, armures et habits des croix blanches faites de bandes de lin. La croix fédérale se développa à la fin du XVe siècle; (…)»[23]
Il y a trois versions sur l’origine de la croix blanche sur notre drapeau : «Selon la première, la croix fédérale remonte à la Légion thébaine (…). Selon la deuxième, elle est issue de la bannière impériale (drapeau de guerre du Saint Empire) (…) et selon la troisième des arma Christi, instruments de la Passion, particulièrement vénérés en Suisse centrale et que les cantons primitifs purent mettre sur leurs bannières rouges (dites “bannières de sang”) à partir de 1289. La croix blanche pleine, sous la forme de deux bandes cousues perpendiculairement, apparut pour la première fois comme signe de ralliement sur les vêtements des Bernois à la bataille de Laupen (1339); (…)» pour les différencier des Autrichiens. «A dater du milieu du XVIe siècle, la croix blanche fut considérée comme emblème confédéral et parfois utilisée au civil (…). Comme chaque canton était souverain, l’ancienne Confédération n’avait pas de drapeau commun. En 1800 et 1815, le général Niklaus Franz von Bachmann donna à ses troupes comme signe de ralliement la croix blanche sur fond rouge. (…) Sous l’impulsion de Guillaume-Henri Dufour, un drapeau militaire commun pour toute la Suisse fut créé en 1840 (croix blanche alésée sur fond rouge).»[24]
Notre premier drapeau étant d’abord utilisé uniquement par l’armée fédérale, il était carré. On ne vit pas par la suite de raison de changer sa forme qui, contrairement aux dimensions de la croix, n’est pas prescrite dans la loi; elle n’est qu’une question de tradition. Notons que le seul autre drapeau carré au monde est celui du Vatican, certainement parce qu’il a été inspiré par celui que la Garde suisse avait depuis le XVIe siècle.[25]
La croix blanche sur fond rouge est-elle un symbole chrétien? Un symbole catholique, certainement. Pour le reste, comme pour le serment du Grütli et notre premier Pacte fédéral, n’allons pas au-delà des documents historiques…
Conclusion
Je considère comme une grâce d’être née en Suisse, et je suis consciente d’avoir des privilèges que la majorité des citoyens du reste du monde n’ont pas.
J’aime mon pays, et en tant que disciple de Jésus-Christ, je rêverais de découvrir qu’il a été fondé – documents à l’appui – sur un idéal commun de servir et d’honorer le Dieu de la Bible.
Mais aujourd’hui, après quelques recherches pourtant non exhaustives, je suis obligée de regarder la réalité en face, et je ne peux pas continuer à vivre dans une illusion, aussi agréable soit-elle : aucun document historique n’atteste que notre nation ait été fondée sur des bases bibliques ni qu’elle ait été plus qu’une autre une terre d’asile pour les victimes de l’Inquisition… On sait que certains Français se réfugièrent en Bulgarie. Pourquoi ne s’arrêtèrent-ils pas dans la toute proche Suisse primitive, si elle était vraiment un eldorado chrétien?…
Il est indéniable que la constitution et le fonctionnement de notre pays plongent pour une grande part leurs fondements dans une culture judéo-chrétienne. Indéniable également que certains traits de notre mentalité en soient le reflet et qu’une partie de notre prospérité soit due à l’application – consciente ou non – de certains principes bibliques.
Je reconnais la bénédiction de Dieu sur notre nation, qui nous a gardés de tant de maux… Mais sans vouloir entrer dans trop de détails, considérons aussi les pages plus noires de notre histoire, qui ne se résume malheureusement pas à l’accueil des Huguenots au XVIe siècle et à la création de la Croix-Rouge… Les causes de notre prospérité ne découlent de loin pas toutes de bénédictions divines…
Comme nous y exhorte un frère de nos concitoyens,[26] ne tombons pas dans le piège de croire que nous bénéficions de la paix et de la prospérité parce que nous aurions plus prié que les autres peuples ou parce que nous les mériterions plus qu’eux en raison de nos performances… Rappelons-nous que tout ce que notre Dieu nous accorde est pure grâce.
Puisqu’il n’existe pas de preuve historique que le Dieu de notre constitution soit plus le Dieu de la Bible que celui dont le nom figure sur les billets de banque américains, ne devrions-nous pas nous préoccuper en priorité de tout ce qui se trouve entre le préambule et la date de pied de page, plutôt que nous endormir sur la première page de notre constitution?
Natacha Niklaus
Recherches, rédaction et mise en forme : APV
Date de parution sur www.apv.org : 01.08.16 – v. 02.08.16
[1] Source pour cette partie : Dictionnaire historique de la Suisse – Pactes fédéraux
[2] Wikipédia – Liste des pactes en Suisse avant 1386
[3] Source des 1er, 3e et 4e paragraphes : Wikipédia – Pacte fédéral // Source du 2e paragraphe : Site de la Confédération suisse – Le Pacte fédéral du 1er août 1291
[4] Sources pour ce paragraphe : Dictionnaire historique de la Suisse – Grütli (pour les citations entre guillemets) // Wikipédia – Serment du Grütli
[5] Pour accéder au Livre blanc de Sarnen en allemand, au format pdf, allez sur cette page, puis cliquez sur le lien Text und Übersetzung Weisses Buch.
[6] Wikipédia – Der Rütlischwur : Der Rütlischwur im Drama Wilhelm Tell
[7] Deux articles qui mentionnent cette appellation «Dieu trinitaire» en allemand : http://www.livenet.ch/news/schweiz/130218-wir_sollten_gott_wieder_dankbar_sein.html //
www.cpw-online.de/kids/schweizer_eidgenossen.htm
[8] Sources et plus d’informations, dont le texte complet du pacte : Dictionnaire historique de la Suisse – Brunnen // Wikipédia – Pacte de Brunnen
[9] Source : Dictionnaire historique de la Suisse – Charte des prêtres
[10] Sources pour les 1er et 3e paragraphes : Dictionnaire historique de la Suisse – République helvétique
[11] Sources pour les 2e et 4e paragraphes : Wikipédia – Constitution de la Suisse
[12] Sources des citations entre guillemets : Educanet – La Suisse à l’époque de la Révolution française (1789-1815)
[13] Sources : Wikipédia – Constitution de la Suisse // Digithèque MJP – Texte complet de l’Acte de Médiation // Site de la Confédération – Préambule de l’Acte de Médiation
[14] Sources pour cette partie : Digithèque MJP – Texte complet du Pacte fédéral de 1815 // Dictionnaire historique de la Suisse – Pacte fédéral // Wikipédia – Constitution de la Suisse
[15] Dictionnaire historique de la Suisse – Pacte fédéral
[16] Digithèque MJP – Texte complet du Pacte fédéral de 1815
[17] Dictionnaire historique de la Suisse – Constitution fédérale
[18] Digithèque MJP – Texte complet de la Constitution fédérale de 1848 // Digithèque MJP – Texte complet de la Constitution fédérale de 1874 // Digithèque MJP – Texte complet de la Constitution fédérale de 1999
[19] Site de la Confédération suisse – Religions
[20] Digithèque MJP – Texte complet de la Constitution fédérale de 1848
[21] Digithèque MJP – Texte complet de la Constitution fédérale de 1874
[22] Digithèque MJP – Texte complet de la Constitution fédérale de 1999
[23] Dictionnaire historique de la Suisse – Drapeaux / Antiquité et Moyen Age
[24] Pour les paragraphes 2 à 4 : Dictionnaire historique de la Suisse – Croix fédérale
[25] Swissinfo – Pourquoi le drapeau suisse est carré
[26] Felix Ruther, Wir sollten Gott wieder dankbar sein