Les prophètes cévenols – extraits

Ils croyaient fermement à l'Esprit qui les animait, ils lui obéissaient sans réserve, prêts à tout souffrir sous sa conduite dans les prisons, sur les galères et sur les bûchers. C'est dans cet esprit qu'ils ATTENDAIENT et RECEVAIENT les pensées le Dieu...
Projet de Dieu_Les prophètes cévenoles

Les prophètes cévenols – Extraits

 

PRÉFACE

Vers la fin du XVIIe siècle, à l’époque où les protestants français étaient le plus cruellement persécutés, d’étranges phénomènes se manifestèrent parmi eux. On vit des vieillards, des hommes et des femmes de tout âge, des jeunes gens et des jeunes filles, même des enfants à la mamelle, saisis tout à coup par un puissant esprit de prophétie, parler avec une éloquence remarquable et révéler les pensées de Dieu.

 

Des paysans qui ne savaient pas lire et qui n’avaient jamais parlé que le patois, annonçaient dans un français correct les choses magnifiques de Dieu et dévoilaient les pensées secrètes des cœurs.

 

Chose remarquable, les adversaires les plus ardents des prophètes cévenols n’ont pas songé à nier les faits extraordinaires dont ils ont été les témoins, mais ils les attribuent à Satan. Dans son livre sur l’Inspiration des camisards, Hippolyte Blanc reconnaît que des phénomènes prodigieux se sont manifestés chez les protestants des Cévennes. «Ces phénomènes sont certains, dit-il, la médecine est impuissante à les expliquer; ils sont dus, par conséquent, à une cause surnaturelle; mais à coup sûr le Saint-Esprit n’en est pas l’auteur.»

 

En effet, répondons-nous, avec Ami Bost : «les faits surnaturels de cette histoire sont si bien constatés, que si l’on ne veut pas y voir le doigt de Dieu, il faudra y reconnaître l’agence de Satan.»

 

En attribuant au pouvoir du prince des ténèbres les faits extraordinaires qui se passaient sous leurs yeux, les catholiques ont agi comme les juifs qui accusaient notre Sauveur de chasser les démons par la puissance du prince des démons. La foi des cévenols, leur fidélité inébranlable à l’Évangile dans les cachots, sur les galères, sur les bûchers, leurs prédictions mêmes sont une réfutation victorieuse des accusations de leurs calomniateurs et de leurs bourreaux.

 

En septembre 1706, quelques inspirés, Elie Marion, Durand Fage et Jean Cavalier, de Sauve, arrivèrent à Londres. Accueillis d’abord avec bienveillance par le gouvernement et le peuple anglais, ils ne tardèrent pas à se voir violemment attaqués par plusieurs pasteurs français réfugiés depuis longtemps à Londres. Maximilien Mission, aidé d’un de ses amis, M. Lacy, voulut se rendre compte du sérieux des trois prophètes. Il les étudia en les fréquentant et en les interrogeant pendant un temps assez long. Voulant connaître toute cette affaire à la fois dans son ensemble et dans ses détails, il s’enquit soigneusement de ce qui s’était passé dans les Cévennes, en interrogeant un grand nombre de personnes venues de ces provinces pour échapper aux persécutions. Il observa d’autres inspirés de tout âge et de toute condition. Le résultat de ce long et consciencieux examen, fut la publication d’un ouvrage, le Théâtre sacré des Cévennes qui renferme les témoignages de quelques inspirés.

 

«Ce curieux et terrible livre, dit le grand historien Michelet, le seul débris d’un monde, est écrit dans la froide atmosphère de Londres, sous la persécution… Découragés, les témoins véridiques déposent de ce qu’ils ont vu, mais sèchement, tristement, sans détail; ils ne rougissent pas de la vérité, mais sentent qu’elle ne sera pas crue. Ils abrègent, suppriment ce qui eût tant intéressé. Triste punition d’un âge si dur! d’un parti refroidi qui ferma ses oreilles. Sa glorieuse histoire aura péri pour lui, – hélas! aussi pour nous qui l’aurions mieux comprise.»

 

Monsieur Maximilien Mission, savant très respecté, nous raconte comment il composa le Théâtre sacré des Cévennes :

«Lorsque nous nous appliquâmes, Monsieur Lacy et moi, à recueillir tous les faits rares et admi­rables qui composent ensemble cet excellent petit livre, nous apportâmes toutes les précautions conve­nables, afin de pouvoir faire paraître en tous temps, notre exactitude et notre fidélité. Les honnêtes gens qui se présentèrent pour nous raconter ces faits mémorables se produisirent volontairement, sans aucun motif d’intérêt, et nous exigeâmes d’eux ces trois choses :

 

    1° qu’ils ne nous disent rien qu’ils ne l’eussent vu ou entendu;

    2° qu’ils rapportassent scrupuleusement la vérité pure et simple, comme étant devant Dieu, en présence duquel ils faisaient un serment solennel;

    3° enfin, qu’ils ne nous parlassent que de choses dont ils se souvinssent bien distinctement.

 

«Quand les plus simples de ces déposants avaient énoncé de leur mieux ce qu’ils voulaient dire, on réduisait le fait au moins de paroles qu’il était possible, sans s’éloigner beaucoup de leur style : c’est pour ainsi dire le langage de pure nature. On leur lisait trois fois, au lieu d’une, ce qu’on avait écrit, pour s’assurer de leur approbation, et ils paraissaient fort contents de ce qu’on exprimait leurs pensées en aussi peu de paroles. On donnait aux déposants le loisir de se recueillir; et en les sollicitant toujours d’être bien attentifs, on relisait à chacun sa déclaration entière. S’il témoignait d’être satisfait, on le faisait signer, et un nombre suffisant de témoins mettaient aussi leur seing.»

 

C’est dans ces conditions que fut publié à Londres, en 1707, ce recueil sous le titre de Théâtre sacré des Cévennes. Ami Bost en a publié une nouvelle édition en 1847. Elle est épuisée depuis plus de cinquante ans. Il y a pourtant dans ce livre des choses glorieuses, des inspirations et des révélations magnifiques.

 

Aussi l’avons-nous fait passer en très grande partie dans ce volume. C’est à ce livre que nous avons emprunté tous les faits de révélations et de prophéties que nous citons. Il n’y a pas dans l’histoire de I’Eglise chrétienne depuis le siècle apostolique, de pages plus sacrées. Nous sommes sur une terre sainte dans ces assemblées du Vivarais et des Cévennes où la voix de Dieu se fait entendre de façon si saisissante. À des temps extraordinaires, Dieu répond par des dons extraordinaires; à une foi patiente et héroïque, Dieu répond par des grâces surabondantes.

 

Qu’il y ait eu quelquefois un esprit charnel chez les guerriers cévenols, qui pourrait s’en étonner? Mais la cause qu’ils défendaient étaient la cause de Dieu. Ils n’ont lutté contre leurs assassins que pour obtenir la libération de leurs prisonniers, de leurs forçats et pour posséder la liberté de conscience.

 

Qu’il y ait eu parmi les prophètes quelques faux prophètes, qui pourrait aussi s’en étonner? Le chef Jean Cavalier, lui-même inspiré et prédicateur éloquent, demandait à Dieu de le délivrer des faux prophètes.

 

Cela dit, la parfaite bonne foi du grand nombre quant à leur inspiration, est au-dessus de toute contestation. Ils croyaient fermement à l’esprit qui les animait, ils lui obéissaient sans réserve, prêts à tout souffrir sous sa conduite dans les prisons, sur les galères et sur les bûchers. C’est dans cet esprit qu’ils attendaient, recevaient les pensées le Dieu.

 

L’historien Rulhières rapporte que, dans leurs derniers adieux en 1685, les pasteurs expulsés de France avaient dit à leurs troupeaux : «L’orage de la colère nous arrache de votre sein pour nous disperser dans l’exil; mais en notre absence, l’esprit du Seigneur demeurera parmi vous : Jésus sera votre pasteur, ô brebis désolées d’Israël! Plutôt que de vous laisser sans consolation, il vous parlera par la bouche des simples femmes et des petits enfants!»

 

Il est impossible de lire les dépositions des prophètes cévenols sans être frappé de voir les fruits de sanctification que produisaient l’Esprit de prophétie et les grâces.

 

Ces persécutés pour la justice nous donnent l’exemple d’une vie d’entière fidélité et d’amour parfait. Ils nous montrent que toute victoire est possible à qui combat avec foi Satan, le monde et la chair. Nous connaissons le cœur humain. Il y a dans ce repaire des bêtes féroces qui y dorment souvent; mais quand de puissantes tentations les brûlent et les réveillent, on entend leurs cris. Dans le cœur de beaucoup de martyrs en prison, aux galères, en exil, ou dans leurs tristes demeures habitées par les dragons, la souffrance semble n’avoir jamais réveillé qu’un amour toujours plus intense pour Dieu et pour leurs bourreaux.

 

Après avoir lu leur vie, on doit avoir les yeux ouverts sur la possibilité, le devoir et le privilège d’une vie sainte.

 

Si ce livre amenait ce résultat pour beaucoup de lecteurs, nous ne l’aurions pas publié en vain.

 

  1. DELATTRE

 

 

 

CHAPITRE PREMIER

(…)

 

Sur la montagne du Peyrat, près de Dieulefit, dans la Drôme, vivait un gentilhomme verrier, renommé pour sa foi; il se nommait Du Serre. Les persécutions l’avaient rendu plus zélé que jamais. La lecture de la Bible le remplissait de joie et d’espérance. Comme autrefois Jeanne d’Arc, il avait des inspirations, il entendait des voix intérieures. Après l’exil des pasteurs, Dieu lui mit au cœur d’instruire la jeunesse et il devint le catéchiste des jeunes bergers pendant les longues soirées d’hiver. Il leur expliquait la parole de Dieu. Et comme il vivait dans l’intimité des prophètes de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance, comme il se nourrissait des tableaux que Jésus et l’apôtre Jean tracent de l’avenir, il montrait à ses jeunes amis que Rome, cette grande prostituée de l’Apocalypse, ivre du sang des saints et des martyrs du Sauveur, tient dans ses mains une coupe pleine des abominations de la terre.

 

La foi ardente du vieillard, ses entretiens enthousiastes, son âme de feu émouvaient profondément son jeune auditoire; l’imagination et le cœur de ces enfants s’enflammaient; ils attendaient avec impatience le jour glorieux où ils pourraient se réjouir avec le ciel, les saints, les apôtres et les prophètes sur la ruine de Babylone. La chambre de Du Serre était devenue une école de prophètes; le vieillard huguenot était un nouveau Samuel et ses élèves tombaient dans l’extase.

 

Le prophète ému conduisit ses catéchumènes sur le sommet de sa montagne, et leur mon­trant les plaines du Dauphiné et du Languedoc où gémissaient leurs frères, il les convainquit qu’ils avaient une grande œuvre à accomplir. Sachez-le bien, leur dit-il, si Dieu vous a accordé des révélations et le don de prophétie, c’est pour le bien de ceux qui souffrent. Allez les éclairer, les consoler, les fortifier. «Allez édifier les églises de ces provinces, allez ramener les brebis perdues de la maison d’Israël. Voyez ces temples où vous vous êtes si souvent assemblés pour chanter les louanges de Dieu; ils sont détruits; jetez les yeux sur ces chaires d’où on vous annonçait la vérité chrétienne, elles sont abattues; portez vos regards sur ces tables où le pain et le vin eucharistiques étaient distribués, elles sont renversées; remarquez ces personnes si pressées dans leur fuite, ce sont vos pasteurs que l’on a contraints de force à vous abandonner; considérez ces foules à qui l’on prêche, ce sont vos frères que l’on séduit. Oui, le mystère d’iniquité se met en train; la bête a reçu le pouvoir de faire la guerre aux saints et de les vaincre; la mère des paillardises, Babylone, et des abominations, a enivré les habitants de la terre du vin de sa prostitution. Mais traitez, ô prophètes du Seigneur, traitez Babylone comme elle vous a traités elle-même; rendez-lui au double de toutes ses œuvres. Dans la même coupe où elle nous a fait boire, faites-la boire deux fois autant; rendez-lui au double ses tourments et ses douleurs, car il est écrit : Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je suis venu apporter non la paix, mais l’épée. Les propres domestiques des hommes seront ses ennemis; le frère livrera son frère à la mort, le père son enfant; des enfants s’élèveront contre leurs pères et les feront mettre à mort.» (1).

 

Le vieillard éleva les mains au ciel, puis les posa sur leur tête et leur dit : «La paix soit avec vous; comme le Père m’a envoyé, je vous envoie aussi de même. – Allez!

 

Les jeunes bergers, au nombre de trente, écoutèrent leur maître avec un saint respect et une absolue confiance. Nouveaux apôtres, ils partirent pleins de courage et de foi. Dans le Dauphiné et le Languedoc, ils annoncèrent l’Évangile de la grâce de Dieu, affermissant les faibles, encourageant les forts, menaçant de la condamnation éternelle ceux qui avaient renié leur foi par crainte. Les populations protestantes les accueillirent comme des envoyés de Dieu; elles se groupèrent pour écouter leur message. Leurs larmes coulaient abondantes en l’écoutant, les consciences se réveillaient, les cœurs étaient touchés, des cris de repentance se faisaient entendre, le réveil visitait les églises depuis si longtemps éprouvées et les prophètes surgissaient de leur sein par centaines et bientôt par milliers, «la secte des inspirés, dit l’apostat Brueys, devint bientôt nombreuse, les vallées en fourmillèrent et les montagnes en furent couvertes. Il y eut une infinité de petits prophètes; il y en avait des milliers».

 

Les disciples de Du Serre manifestèrent une grande fidélité. Leur zèle et leur foi ne se refroidirent pas. Ils semblaient n’aspirer qu’à la gloire du martyre. Le besoin de glorifier le Sauveur et de travailler au salut des âmes était leur seule passion. Leur témoignage eut un immense retentissement et porta des fruits abondants. Trois d’entre eux, Pascalin, Nazel et Bompard exerçaient une autorité souveraine au milieu des assemblées; leur mission divine était reconnue par tous.

 

«Dieu, disaient les protestants émerveillés, tire sa louange de la bouche des petits enfants.» Saisis par les dragons, ils furent jetés au fond d’un sombre cachot. Dieu en suscita aussitôt une infinité d’autres dont le plus célèbre fut Gabriel Astier, un élève aussi de Du Serre. Il portait partout avec lui l’esprit prophétique. Les populations de l’Ardèche l’accueillirent avec un tel enthousiasme que l’enceinte des villages était trop petite pour contenir les foules qui accouraient pour l’entendre; il fallut se transporter dans les champs.

 

Les gens oubliaient leurs travaux, négligeaient même de manger et de boire pour le suivre pendant plusieurs jours de lieu en lieu.

 

Les femmes, les enfants écoutaient avec ravissement le jeune Gabriel Astier prêchait aux multitudes la soumission au Roi du ciel et la résistance au roi de la terre. Finalement, il fut arrêté et condamné à mort.

 

(…)

 

Il est fréquemment arrivé que Dieu s’est servi des prophètes pour révéler à des frères et à des sœurs les dangers qu’ils couraient. Le pieux et célèbre Abraham Mazel en cite plusieurs cas :

«Un certain homme, dit-il, qui avait autrefois été de ceux qu’on appelait anciens, dans quelqu’une de nos églises, fut subordonné pour trahir le frère Salomon Couderc, et le faire tomber dans une embuscade avec la troupe qu’il commandait. Cet ancien donc s’enrôla parmi nous avec Salomon, faisant valoir le talent qu’il avait de chanter les psaumes. Salomon le prit en amitié, et les choses s’acheminaient bien pour le traître, parce que la troupe s’approchait insensiblement d’Alais, par l’adresse de ses persuasions. Dans ces entrefaites, comme j’étais à cinq ou six lieues de là, je fus averti par inspiration que le frère Salomon était obsédé par un flatteur qui lui tendait des pièges; et l’Esprit m’ordonna de partir incessamment, pour aller moi-même en donner avis au dit Salomon. Je partis sur le champ, et dès que je fus arrivé, l’Esprit me saisissant de nouveau, en présence du traître, me fit déclarer le complot qu’il avait fait avec le gouverneur d’Alais. Ce malheureux, confus et tremblant, confessa la vérité de tout ce qui m’avait été révélé. Si, par hasard, quelqu’un me demande ici pourquoi Dieu me faisait venir de si loin pour avertir Salomon qui avait lui-même des inspirations, laissant à part les conjectures raisonnables qui pourraient être faites sur cela, je lui répondrai que Dieu fait ce qu’il veut, selon sa sagesse toujours adorable. Ce n’est pas à nous de lui demander pourquoi.»

 

Les expériences suivantes d’Abraham Mazel ne sont pas moins touchantes :

«Environ trois mois après que le frère Elie Marion, mon associé au commandement de la troupe, eût capitulé pour moi en même temps que pour lui, selon le pouvoir que je lui en avais donné, je fus pris par les Miquelets et conduit à la citadelle de Montpellier, car je n’avais pu me résoudre à quitter le pays, ni à marcher sans mes pistolets. J’avouai naïvement tout quand on m’interrogea. Et comme je confessais qu’il était vrai que c’était moi qui avais soulevé les Cévennes, en obéissant à mes inspirations, mes juges se moquèrent de moi; ils me disaient que j’avais fait des merveilles et que je n’avais qu’à me préparer aux plus rudes supplices. Je leur répondis que j’étais résigné à la volonté de Dieu, ce qui était vrai, par sa grâce; mais dans mon cœur il était vrai aussi que je ne les craignais pas du tout, ayant été averti plus d’une fois par l’Esprit que j’échapperais de leurs mains. On en avait roué et brûlé qui n’avaient été que de simples soldats; on en avait pendu, seulement à cause des inspirations : quelle ne devait pas être ma destinée? Cependant, Dieu fit agir d’un côté le lieutenant général La Lande, qui, pour des raisons que j’expliquerais s’il était nécessaire, écrivit en cour en ma faveur. D’un autre côté, il mit au cœur d’un curé à qui j’avais sauvé la vie, de solliciter fortement ma grâce. (C’était le curé de Saint-Martin Corconas.) Par les entremises de ces deux organes de la Providence, je fus seulement condamné à une prison perpétuelle dans la fameuse tour de Constance.

 

«Quelques jours après qu’on m’eut mis dans ce lieu fatal, l’Esprit me dit par inspiration que j’en sortirais; et sur quelques doutes de mon infirmité, il redoubla ses saintes promesses. À quelques jours de là, Dieu me mit au cœur de percer la muraille : elle était épaisse; nous étions au second étage, à cent pieds de hauteur du terrain; je n’avais pas d’outils; il y avait trente-trois autres prisonniers avec moi dans la même chambre; il fallait ou gagner tous ces gens-là, et les trouver fidèles, ou être accusé par quelqu’un d’entre eux; il fallait des cordes pour descendre. En bas, il y avait de hautes murailles à escalader; des sentinelles à éviter, des grands marais pleins d’eau à traverser; et après tout cela ne savoir où prendre du pain, ni où se retirer. Mais avec l’assistance de Dieu, je surmontai tous ces obstacles, après sept ou huit mois de travail. Seize de mes compagnons me suivirent, les dix-sept autres manquèrent de courage.»

 

(…)

 

(1) Histoire des prophètes des Cévennes, par l’abbé Valette.

(2). Théâtre sacré des Cévennes, page 140.

 

 

CHAPITRE IV

(…)

 

Le Théâtre sacré des Cévennes abonde en faits extraordinaires qui nous révèlent que Dieu était visiblement au milieu de son peuple persécuté et qu’il a très souvent averti ses enfants des dangers qu’ils couraient, des pièges qu’on leur tendait, des traîtres qui se trouvaient parmi eux comme le prouvent les témoignages suivants :

 

«Notre troupe étant entre Ners et Las-Cour-de-Creviez, raconte Durand Fage, le frère Cavalier, notre chef, eut une vision. Il était assis, et il se leva soudainement, en nous disant ces paroles : Ah! mon Dieu, je viens de voir en vision que le Maréchal de Montrevel qui est à Alais vient de donner des lettres contre nous à un courrier qui va les porter à Nîmes. Qu’on se hâte, et on trouvera le courrier, habillé d’une telle manière, monté sur un tel cheval et accompagné de telles et telles personnes. Courez, hâtez-vous, vous le trouverez sur le bord du Gardon. À l’instant, trois de nos hommes montèrent à cheval, Ricard, Bouré et un autre; et ils rencontrèrent sur le bord de la rivière, dans l’endroit marqué, et l’homme et ceux qui étaient avec lui, dans toutes les circonstances que le frère Cavalier avait spécifiées. Cet homme fut amené à la troupe, et on le trouva chargé des lettres du Maréchal; de sorte que nous fûmes informés par une admirable révélation de diverses choses dont nous fîmes ensuite un heureux usage. Le courrier fut renvoyé à pied. J’étais dans la troupe quand cela arriva, et j’atteste ce que j’ai vu.»

 

(…)

 

La déposition suivante de Durand Fage est encore plus extraordinaire, elle est appuyée par Jean Cavalier et par de nombreux témoins :

«Au mois d’août 1703, le frère Cavalier, notre chef, convoqua une assemblée proche de la tuilerie de Sérignan, entre Quissac et Sommières, un jour de dimanche. Vers les deux ou trois heures après-midi, Dieu se manifesta à nous par un signe admirable. Le frère Clary, homme d’environ trente ans, et qui avait reçu des dons extraordinaires, tomba en extase. J’ajouterai, si l’on veut, que c’était lui qui avait la distribution de nos vivres. Après de grandes agitations, entre les diverses choses qu’il prononça, il dit à haute voix qu’il y avait deux hommes dans l’assemblée qui étaient venus pour la vendre et que s’ils ne se repentaient pas de leur mauvais dessein, lui, Clary, déclarait de la part de Dieu qu’il irait les saisir. Sur cela, le frère Cavalier, qui ne doutait pas de la vérité de l’inspiration, ordonna incontinent à ceux de sa troupe qui étaient, je crois, au nombre d’environ cinq à six cents, d’entourer l’assemblée, pour empêcher que personne ne s’évadât.

 

«Dans ce même temps, Clary continuant dans l’extase, se leva, marcha en sanglotant et ayant les yeux fermés, avec d’assez grandes agitations de tête et les mains jointes élevées. Il approcha dans cet état du traître qui était au milieu de l’assemblée, et mit la main sur lui. Son compagnon qui en fut effrayé, se vint déclarer lui-même, se jetant aux pieds du frère Cavalier, en demandant grâce. Le frère Cavalier les fit lier tous deux, en attendant ce qui serait résolu touchant cette affaire. Mais Clary, toujours dans l’extase, dit hautement qu’il y avait beaucoup de personnes dans l’assemblée qui murmuraient, et qui soupçonnaient qu’il y avait eu de l’intelligence entre lui et les deux hommes que l’on avait arrêtés, que Dieu vaincrait leur incrédulité et qu’il voulait manifester sa puissance.

 

Je te dis, mon enfant, lui dit l’Esprit, à peu près en ces termes, que je veux faire connaître ma force et ma vérité. Je veux que l’on allume tout présentement un feu, et que tu te mettes au milieu, sans que les flammes te fassent aucun mal. Ne crains rien, mon enfant, obéis à mon commandement, et je serai avec toi, je te conserverai. Il se fit alors un grand cri de ceux qui avaient murmuré, dont le nombre n’était pas petit. Ils protestèrent qu’ils ne doutaient plus, et demandèrent à Dieu, avec cris et larmes, qu’il retirât le témoignage du feu. Mais le frère Cavalier, après délibération, ordonna que le feu fût fait, et je fus du nombre de ceux qui ramassèrent le bois. Ce bois, sec et menu, fut entassé en un moment, au milieu de l’assemblée, parce que nous en trouvâmes tout près de là, qui était destiné pour l’usage de la tuilerie. Le feu fut allumé, et je ne sais si ce ne fut point Clary lui-même qui l’alluma. Comme les flammes commençaient à s’élever, il entra au milieu, se tenant debout, et ayant les mains jointes et élevées. Il était toujours dans l’extase; je jugeais qu’il parlait, mais je n’avais garde d’entendre ce qu’il disait, puisque, outre les six cents hommes de la troupe, il y avait environ autant d’autres personnes, de tout âge et sexe, qui étaient venus des villages voisins, et qui, tous ensemble, faisaient un grand cercle autour du feu; tous fondant en larmes, chantant des psaumes, et criant grâce et miséricorde. Entre ces personnes, était la femme de Clary, qui criait et pleurait, en priant Dieu. J’étais à côté d’elle, et je la rassurais autant qu’il m’était possible. Ses deux sœurs étaient là aussi, leur père, un de leurs frères et quelques parents de Clary.

 

«Toute l’assemblée fut témoin que les flammes, qui s’élevaient de beaucoup au-dessus de sa tête, l’environnaient aussi de tous côtés, de telle manière que ceux qui auraient fait le tour l’en auraient vu entièrement enveloppé. Il demeura dans cet état jusqu’à ce que les flammes fussent éteintes et que le bois, qu’on avait toujours repoussé, fût tout consumé. Alors il sortit, encore en quelque agitation, et chacun peut juger avec quelle admiration tous ceux qui purent l’embrasser, et particulièrement ses proches et intimes amis, lui témoignèrent leur joie, et comment chacun bénit Dieu. Le frère Cavalier fit la prière, et ensuite, après avoir entendu la confession des deux hommes arrêtés, qui demandèrent grâce et qui témoignèrent une repentance que l’on jugea être sincère, il les exhorta fortement à être fidèles, leur déclarant que Dieu ne manquerait pas de les livrer une autre fois entre nos mains, s’ils retombaient en pareille faute. De sorte qu’ils furent mis en pleine liberté. Ils dirent que leur grande pauvreté avait été la cause de leur tentation. Clary avait une veste blanche que sa femme lui avait apportée le matin; elle ne fut pas le moins du monde offensée, ni un seul cheveu de sa tête non plus.»

 

«Le chef Cavalier reçut ordre par ses propres inspirations, et par celles de plusieurs autres, d’administrer la Sainte Cène. Et il lui fut aussi ordonné, moi étant présent, par une inspiration particulière, de faire une revue de la troupe, et de mettre à part, jusqu’à un autre temps, ceux que l’Esprit lui ferait connaître comme n’étant pas encore assez bien disposés pour être admis à la communion. Suivant cette inspiration, il fit assembler la troupe en pleine campagne; et après qu’il eût fait la prière générale, tous demeurèrent à genoux, chacun priant en particulier. Alors le frère Cavalier se tenant debout au milieu de la troupe, étant lui-même en prière et dans quelques émotions de l’Esprit dont il était rempli par la volonté de Dieu, ceux de la troupe s’approchaient de lui par douzaine environ, et se jetaient une seconde fois à genoux devant Dieu, pour recevoir la déclaration qui leur serait faite par son serviteur. Il les regardait attentivement, et l’Esprit lui donnait à connaître ceux qui n’étaient pas préparés encore. Il les faisait mettre à part, en leur témoignant qu’ils seraient reçus une autrefois, lorsqu’ils seraient en état. Et ceux qui étaient admis, il leur adressait une exhortation convenable. J’ai été présent deux fois à cette extraordinaire cérémonie, et j’eus la joie d’être admis la première fois. Tant ceux qui étaient reçus que ceux qui étaient renvoyés à un autre temps, s’allaient mettre encore en prière, les uns d’un côté et les autres de l’autre, chacun s’humiliant devant Dieu selon son état. La Sainte Cène se donnait et se recevait avec un zèle si grand, que je ne pourrais l’exprimer : on voyait une humiliation profonde, et des visages mouillés de larmes qui étaient des larmes de repentance et de joie tout ensemble. Dieu était là et son Saint-Esprit y était répandu. Ceux qui n’ont pas été témoins d’un pareil spectacle et qui sont prévenus par des idées qui ne sont pas justes, ne sont pas capables de juger d’une chose si sainte et si admirable.

 

«Outre l’examen dont je viens de parler et qui n’était que pour ceux qui portaient les armes, comme il venait une infinité de gens des villes et des villages pour communier, il arrivait que le serviteur de Dieu qui donnait la Cène, et qui était toujours rempli du don extraordinaire de l’Esprit en cette rencontre, renvoyait quelquefois de certaines personnes qu’il connaissait n’être pas assez préparées; mais il ne les rejetait pas absolument, sinon très rarement; il leur disait : Allez prier Dieu, mon frère, ma sœur, et puis revenez. De sorte que ces gens-là se présentaient un quart d’heure après, tout en pleurs et pleins d’un nouveau zèle, et ils étaient admis. Je sais que les chefs des autres troupes, et ceux qui avaient reçu la vocation extraordinaire au saint ministère de l’Évangile, en usaient tous ainsi.»

 

(…)

 

«Je crois que ce fut vers le mois d’octobre ou novembre 1703, que, comme notre troupe était proche de Pierredon, un certain nommé Languedoc, sergent dans le régiment de Menon, se vint jeter parmi nous comme déserteur, déclarant qu’il voulait à l’avenir combattre pour la cause de Dieu. Quelques-uns des nôtres savaient qu’il était de famille protestante; et ses discours nous parurent si raisonnables, que nous le reçûmes d’abord sans difficulté, comme nous avions déjà admis d’autres déserteurs. Mais il arriva deux jours après que ce malheureux fut lui-même témoin, dans une assemblée, des diverses inspirations qui l’indiquèrent évidemment et qui le déclarèrent traître. L’un de ceux qui parlèrent dans l’inspiration dit positivement que ce méchant homme était venu pour nous vendre, et qu’on serait convaincu si on cherchait dans sa manche, où on trouverait une lettre de l’ennemi. Sur cela, il fut incontinent saisi et fouillé; et on trouva effectivement dans la manche de son justaucorps une lettre du lieutenant-général La Lande qui, entre autres choses, lui faisait des reproches de ce qu’il n’avait pas encore exécuté sa promesse. L’accusé étant ainsi marqué du doigt de Dieu, avoua d’abord et lui donna gloire. Il fit même une grande confession de ses péchés, et ne demanda pour toute grâce, que les prières des gens de bien qu’il avait eu le malheur de vouloir trahir. Il obtint abondamment ce qu’il désirait, et nous fûmes tous persuadés que Dieu lui avait fait miséricorde. J’ai été témoin de ce fait.»

 

Jean Cavalier, de Sauve, déclare exact ce récit en ajoutant que ce traître fut accusé par un concours d’inspirations unanimes, qu’il confessa franchement son mauvais dessein, qu’il fut exécuté et qu’il fit une mort édifiante.

Que de fois Dieu sauva les assemblées religieuses par le moyen des révélations.

 

(…)

 

Claude Arnassan raconte les faits suivants :

«Comme j’étais sous les armes dans la troupe du frère Cavalier, notre principal chef, qui est présentement colonel, et sous qui j’ai servi dix à onze mois, il eut quelques raisons de s’éloigner de la troupe, pour des affaires particulières, et il me prit avec lui. Nous étions prêts à manger un morceau dans la maison où nous allâmes, après qu’il y eut achevé son affaire, lorsqu’il fut doucement saisi de l’Esprit, et qu’il dit, sans qu’il parut presque avoir d’agitation : Mon enfant, je te dis que tes ennemis sont proches; retire-toi; tes frères combattent. Sur cela, il se leva sans manger, et dès que nous fûmes sortis, nous aperçûmes trois ou quatre compagnies ennemies qui approchaient de la maison d’où nous venions de sortir. Nous les évitâmes, et sur le soir, nous joignîmes la troupe comme elle poursuivait ces mêmes ennemis.»

 

«Comme nous étions en marche après avoir brûlé le village de Belvezé, le frère Serre, qui avait le don fut saisi de l’Esprit, et dit qu’un certain homme de la troupe, et qui était d’un tel lieu, avait pris de l’interdit à Belvezé, et que Dieu permettrait qu’il fût tué à deux jours de là, dans un combat. En effet, nous rencontrâmes l’ennemi deux jours après; nous nous battîmes et nous perdîmes un seul de nos gens, qui était du lieu nommé par le frère Serre.»

 

«Un autre jour, le frère Cavalier, aujourd’hui colonel, tomba en extase proche de Saint-Hippolyte, en ma présence et de huit ou dix autres qui étaient en selle fort proche de lui. L’Esprit lui dit : Mon enfant, je te dis qu’on te fera de grandes propositions; mais ne te fie point à eux. Les paroles qu’il prononça ensuite m’échappèrent; mais je me souviens qu’il dit encore ceci – Tu parleras au roi. Je suppose qu’il a eu depuis des avertissements positifs, puisqu’il a traité; car on ne faisait rien qui fût de quelque conséquence dans nos troupes, sans la direction des inspirations.»

 

«Une maladie m’ayant obligé de quitter la troupe en août 1703, Je m’en retournai chez moi. Le lendemain matin, une fille que je connaissais me vint solliciter de retourner à la troupe, et me dit avec instance que je serais pris par l’ennemi avant la fin de la semaine, si je ne retournai pas, m’assurant qu’elle en avait été avertie par une inspiration. Je lui répondis qu’il m’était impossible de suivre la troupe, et je demeurai. Mais le jeudi suivant, un détachement passa dans le village et nous emmena à Alais, mon frère et moi. Nous y fûmes quinze jours, et de là on nous transféra au fort de Nîmes, où je fus retenu jusqu’au mois de janvier.»

 

«Je partis de Londres en juin 1703, pour faire un voyage dans les Cévennes, raconte David Flottard. J’y vis le chef Roland et plusieurs de sa troupe, dans l’inspiration. C’était par ces inspirations que toutes leurs affaires se réglaient et se gouvernaient; j’ai été témoin de cela, et les chefs n’avaient le commandement qu’à cause de l’excellence de ce même don qui était en eux. Je crois qu’il y avait bien près de la moitié de leurs soldats qui étaient inspirés.

 

«Les uns avaient le talent ou le don de la prière et de l’exhortation. D’autres semblaient prédire particulièrement la destinée de l’Eglise et de ses ennemis, et les révolutions de diverses choses dans le monde. Quelques-uns avaient de fréquents avertissements particuliers touchant leur propre conduite, et sur ce qui concernait la guerre; d’autres encore avaient été rendus participants de plusieurs de ces grâces et même de toutes ensemble. Ils me disaient que quand ils avaient bien ponctuellement obéi aux inspirations, toutes choses leur avaient réussi, et qu’au contraire leurs disgrâces n’étaient venues que de manque d’exactitude. J’ai remarqué en eux tous un grand zèle pour la gloire de Dieu et une parfaite résignation à sa volonté, soit dans la vie soit dans la mort. Tout leur exercice et tous leur plaisir, dans le désert, consistait en prières et en chant de psaumes.»

 

(1) Un tiers des pasteurs, hélas! avaient abjuré pour ne pas s’exiler.

 

 

CHAPITRE V

(…)

 

Depuis ce temps-là, nous continuâmes de distribuer la Sainte-Cène du Seigneur de trois en trois mois, dans les assemblées, deux dimanches de suite. Le frère Abraham y faisait une fonction extraordinaire. L’Esprit lui avait ordonné, par une inspiration, de se tenir debout, proche de la table, le visage tourné vers l’assemblée, et d’arrêter ceux qui approcheraient sans s’être suffisamment préparés (selon qu’il lui serait donné à connaître), en les exhortant de s’en aller prier et de revenir recevoir la consolation qu’ils cherchaient. Comme ces paroles leur étaient dites en douceur et charité fraternelle, aussi étaient-elles reçues en grande humilité, comme un encouragement et une aide à la piété de ces braves gens. Ils se détournaient en pleurant, ils allaient se prosterner devant Dieu et lui demander par des soupirs qui ne se peuvent exprimer des grâces qui leur étaient accordées. Ils revenaient consolés et on les recevait.

 

«Aussitôt que les ennemis eurent appris que j’avais quitté la maison de mon père et que je m’étais joint aux Camisards, comme on les appelait, ils observèrent de très près toutes les personnes de la famille, et ce n’était pas sans quelque raison; car effectivement mon père et mon frère P. étaient fréquemment occupés à nous apporter des vivres et d’autres choses. Mais l’Esprit saint qui visitait fort souvent mes frères, les avertissait de tout et veillait pour toute la maison. Comme il y avait garnison dans le bourg, personne n’en pouvait sortir sans rencontrer quelque sentinelle ou quelque corps de garde, et ces gens-là fouillaient presque toujours ceux qui sortaient. Mais, par une assistance particulière de Dieu, aucun de ceux de notre famille n’a jamais été surpris : il n’y allait pas de moins que de la vie.

«Soit qu’ils eussent dessein de venir à nous qui étions dans la troupe, soit qu’ils voulussent aller aux assemblées, leur méthode constante était de consulter l’Esprit de Dieu, qui, par sa miséricorde, entretenait une si douce communication avec eux, par les inspirations qu’il accordait à mes frères, que comme ils n’entreprenaient jamais rien sans avoir demandé humblement conseil, aussi obtenaient-ils toujours une réponse favorable. Allons, mes enfants, disait mon père, allons, demandons à Dieu qu’il lui plaise de nous faire connaître sa volonté. Aussitôt, les jeunes gens se mettaient en prière, et lui avec eux; l’Esprit tombait incontinent sur eux ou sur l’un d’eux, et les paroles qu’ils prononçaient étaient des oracles certains. Dès qu’ils avaient assuré, dans l’inspiration, qu’il n’y avait rien à craindre, on ne craignait rien, et on entreprenait tout. Cela est arrivé cent fois; mais j’en rapporterai un exemple mémorable.

 

«Après que mon frère Pierre eut aussi pris les armes (ce qu’il fit par inspiration), mon père devint plus suspect que jamais aux persécuteurs. Et même, comme ils avaient de violents soupçons contre lui, ils résolurent de le faire mourir sans forme de procès. Le nommé Campredon, seul délégué de l’intendant Bâville, se mit dans l’esprit (ou en fit semblant) que mon père avait pris des mesures avec nous, pour nous livrer la garnison de Barre, notre bourg, qui était d’environ quatre cents hommes. Il s’imagina aussi diverses autres choses; et, en un mot, il forma la résolution de faire passer mon père par les armes. Alors, M. Julien, d’Orange, que nos Camisards surnommaient l’apostat, monta dans nos Cévennes, avec un autre homme de sa sorte, nommé Viala, subdélégué. Ces deux messieurs, pour dire cela en passant, mirent tout à feu et à sang dans quarante-cinq paroisses qui n’étaient habitées que par des protestants. Alors Campredon communiqua à Julien le dessein qu’il avait de faire mourir mon père, en même temps qu’on ferait une pareille, exécution sur un paysan qu’ils avaient convaincu d’avoir rendu quelques services aux Camisards.

 

«Quelques-uns de nos amis, ayant appris ce mauvais dessein, coururent en avertir mon père. «Sauvez-vous, lui disaient-ils, vous n’avez pas un moment à perdre, autrement vous êtes perdu vous-même.» Mais mon père avait un autre conseiller qu’ils ne connaissaient pas. Incontinent, sans s’émouvoir davantage, il appela mon frère qui avait entendu la triste nouvelle. Viens, mon enfant, lui dit-il, prions Dieu ensemble, demandons-lui son secours, et il nous enseignera ce que nous aurons à faire, Un moment après, mon frère, saisi par l’Esprit, tomba en extase et prononça ces paroles au milieu de ses agitations : Aie bon courage, mon enfant, je te dis que ton père n’a rien à craindre, ni personne de cette maison. Je te dis que j’ai suscité un de ses propres ennemis qui sollicitera sa grâce et qui l’obtiendra. Après cette heureuse réponse, mon père, ferme comme un rocher, ne s’inquiéta plus de rien, et demeura chez lui comme à l’ordinaire. Cependant, le sieur Doise, qui commandait la garnison, ayant eu quelque bruit du dessein de Campredon, s’en alla trouver le sieur Julien et lui représenta que le bourg était perdu s’il faisait mourir Marion, qui, d’ailleurs, était un bon homme et qui était utile à beaucoup de gens. Vous n’avez qu’à compter, dit-il à M. Julien, que si vous faites mourir cet homme, ses deux fils qui sont sous les armes, et dont l’un est chef, n’auront ni repos ni patience qu’ils se soient vengés; ils assembleront les troupes de Roland et des autres qui rôdent ici autour, et ils mettront le bourg au pillage. Pour moi, ajouta M. Doise, je vous déclare que je quitterai le lieu et la garnison. Cela frappa Julien et le fit changer de dessein, de sorte qu’il se contenta de faire seulement peur à mon père. Quand on vint le prendre dans sa maison et qu’il traversa le bourg, tous ses amis pleuraient en lui disant le dernier adieu. Mais lui, plein de confiance, avait une contenance assurée et n’appréhendait rien. M. Julien se contenta de le réprimander à sa mode, et il lui dit qu’il devait la vie à M. Doise. Il ne le renvoya qu’après l’avoir contraint à être présent au martyre du pauvre paysan, qui souffrit la mort avec patience et courage. Je n’ai pas vu ces choses-là, mais je les donne comme extraites des mémoires de mon père, qui est présentement à Lausanne, et que je mets ici au nombre des témoins occulaires.»

 

(…)

 

«On souhaita que [Elie Marion] je fisse quelque lecture de piété après-midi; et comme je prononçais ces paroles : Augmente-nous la foi, je sentis tout d’un coup un fardeau sur ma poitrine, qui m’arrêta pour un moment la respiration. En même temps, des ruisseaux de larmes coulèrent de mes yeux, et il me fut impossible de parler davantage. On ne s’en étonna pas, car on jugea bien ce que c’était. Je demeurai pendant une heure et demie dans cet état, et la jeune fille, ayant reçu une nouvelle inspiration, dit que je pleurais pour mes péchés, ce qui était vrai.

 

«Sur les six heures du soir, comme j’étais dans une autre maison, je fus soudainement saisi d’un frissonnement. En même temps, ma langue et mes lèvres furent subitement forcées de prononcer avec véhémence des paroles que je fus tout étonné d’entendre, n’ayant pensé à rien et ne m’étant pas proposé de parler. Les choses que je dis furent principalement des exhortations à la repentance, et cela dura trois ou quatre minutes. Je tombai incontinent après dans une espèce d’évanouissement; mais cela se passa aussitôt et fut suivi d’un nouveau frissonnement, qui ne fit que passer; après quoi je me trouvai parfaitement libre et dans l’état ordinaire. Mais pendant les jours qui suivirent, j’eus de fréquents soupirs et des tressaillements que je ne pouvais ni prévenir, ni empêcher. Mon esprit s’élevait perpétuellement à Dieu. Les divertissements ordinaires de ma jeunesse me parurent non seulement méprisables, mais ils me devinrent insupportables. L’idée de mes péchés occupait incessamment mon esprit, et c’est ce qui me causait tant de sanglots et de tressaillements. De sorte que ma bouche prononçait incessamment : Grâce! Grâce! Miséricorde! Mon cœur consentait avec un grand zèle, quand la parole était prononcée.

 

«Cependant j’étais soutenu par une bonne espérance et par une joie mêlée avec ma bonne tristesse. Et je reçus, trois semaines après, dans une seconde inspiration, des consolations infiniment douces, qui donnèrent à mon esprit une tranquillité et un contentement secret qui, jusque-là, m’avaient été inconnus. Quand mon père et ma mère apprirent que Dieu avait daigné me visiter de ses grâces, ils en eurent une grande joie et tous leurs amis les en vinrent féliciter. Depuis ce temps-là, j’ai toujours été et je suis encore dans le même état.»

 

 

Source : Site Regard.eu.org

Date de parution sur www.apv.org : 15.07.20

 

 

Article écrit par Delattre S.

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