Personnes âgées

En Suisse, de nombreuses personnes âgées souffrent de discrimination ou sont victimes de violence. L'auteure décrypte le mépris pour les aînés, un phénomène sociétal aussi courant que tabou.
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Personnes âgées

Cette étude très intéressante vous montrera les réalités d’une classe de la population actuelle (église incluse). Mais vous prendrez aussi connaissance du faux positionnement que la jeune génération assume actuellement envers ses aînés. Le modèle biblique (avec ses bénédictions) n’est plus de mise au profit d’un «renouveau». – APV-Jean-Pierre Trachsel

 

«On est tous le vieux de quelqu’un d’autre»

En Suisse, de nombreuses personnes âgées souffrent de discrimination ou sont victimes de violence. Delphine Roulet Schwab, professeure à l’Institut et Haute Ecole de la santé La Source à Lausanne et présidente de l’association «alter ego», décrypte le mépris pour les aînés, un phénomène sociétal aussi courant que tabou.

 

L’âgisme, selon Delphine Roulet Schwab, est la discrimination la plus répan­due, la plus banale et la plus universelle.

 

D’après Delphine Roulet Schwab, selon les chiffres de la Confédération, entre 300 000 et 500 000 per­sonnes de 60 ans et plus seraient victimes de vio­lence ou de négligence en Suisse. C’est effrayant!

 

Ça représente environ 20% des personnes de 60 ans et plus. Ces chiffres sont comparables à ceux de la maltraitance infantile et de la violence de couple.

 

Pourquoi en parle-t-on si peu?

Cette problématique reste taboue, même si on en parle un peu plus ces dernières ­années. Il faut dire que les situations de maltraitance surviennent le plus souvent dans le cadre de la famille et qu’elles concernent donc surtout des personnes proches. C’est déjà difficile de reconnaître que l’on est ­victime de maltraitance, ça l’est d’autant plus lorsque cela implique son fils, sa fille ou ses petits-enfants. A cela s’ajoute souvent un sentiment de honte ou de culpabilité.

 

Quelles sont les formes de maltraitance les plus courantes?

La maltraitance recouvre toutes les atteintes à l’intégrité et aux droits fondamentaux. Chez les per­sonnes âgées, les deux formes les plus fréquentes sont la maltraitance ­psychologique – humi­lia­tions, chantage, dénigrement, rabaissement, in­fan­ti­lisa­tion et les abus financiers. Par exemple, forcer la personne âgée à modifier son testament ou à vendre sa maison, faire ses courses et garder la mon­naie, user de sa carte de crédit sans son accord, etc.

 

Leur faiblesse, leur isolement font d’elles des proies faciles?

Exactement. L’isolement social est à la fois un des principaux facteurs de risque de ­maltraitance et une conséquence. La per­sonne âgée se retrouve dans une situation de huis clos et de dé­pen­dance. Cela l’empêche de prendre du recul pour comprendre ce qui se passe, de chercher des solutions, de parler de son problème à l’extérieur. Et quand ça se déroule dans le cadre familial, il y a encore des enjeux affectifs qui viennent compliquer les choses : conflits de loyauté, promesses faites, histoires de famille qui ­refont surface, petites vengeances… Les troubles cognitifs constituent aussi un facteur de risque important, car ils peuvent mettre à l’épreuve la patience des proches et empêcher la personne âgée de demander de l’aide.

 

Autrefois, on respectait les aînés. Est-ce à dire qu’aujourd’hui ce serait l’inverse?

Je ne suis pas si sûre qu’on respectait davantage les aînés autrefois [?][1]. Ça fait partie de nos jolies croyances, comme d’affirmer que les personnes âgées sont beaucoup mieux traitées en Afrique ou en Asie. Ce sont des images d’Epinal. La maltraitance n’est pas quelque chose de nouveau, on trouve même des traces de violences envers les personnes âgées dans des récits datant de l’Antiquité et du Moyen Age. En revanche, ce qui est ­nouveau, c’est la tolérance de notre société par rapport à ces actes : avant, ils passaient inaperçus, alors que de nos jours ils choquent beaucoup plus. C’est un peu la même chose pour les punitions corporelles envers les enfants.

 

Il y a une prise de conscience, mais les ­seniors sont encore et toujours victimes de «racisme antivieux», d’âgisme!!?

Effectivement. Nous avons une vision très stéréotypée de cette catégorie de la population. C’est un peu comme s’il y avait d’un côté les «bonnes» per­sonnes âgées – celles que l’on voit dans les pubs pour les assurances ou les crèmes antirides, qui sont bronzées, font du vélo ou du bateau… Et de l’autre les «mauvaises» – celles qui sont dépendantes, que l’on imagine alignées sur des chaises dans un EMS, qui coûtent cher… Quand on voit une personne qui a des caractéristiques qu’on associe à l’âge – des rides, une canne ou des cheveux gris –, on a tendance à agir envers elle en fonc­tion de nos préjugés. C’est une personne âgée, donc je vais lui ­laisser ma place dans le bus sinon elle risque de tomber. Ça, c’est de la discri­mination positive. Mais il y a aussi de la discrimination négative : cette personne est âgée, donc il faut que je lui parle plus fort, il faut que je fasse les choses à sa place au­tre­ment elle ne va pas y arriver, il faut que je la protège, car elle est incapable de prendre des dé­ci­sions raisonnables et risque de se mettre en danger.

 

L’âgisme serait d’ailleurs la forme de ­discrimination la plus répandue, la plus banale et la plus universelle…

Une recherche menée au niveau européen a en effet montré que l’âgisme est la forme de discrimina­tion la plus fréquente devant le sexisme et le racisme. Par contre, on en parle beaucoup moins. Elle est finalement si courante qu’on n’en a pas conscience.

 

Comment cette forme de discrimination se manifeste-t-elle concrètement?

De différentes manières bien sûr. Mais il y a deux domaines où elle s’observe particulièrement. D’abord, celui de l’emploi. Il est difficile de retrouver du travail quand on ­approche de l’âge de la re­­traite à cause des préjugés dont sont victimes les quinquas et plus. On ne les engage pas, car on estime qu’ils ont de la peine à ap­prendre, sont ­réfractaires à l’informatique et aux changements, coûtent cher… Le second domaine, c’est celui de la santé où cer­tains traitements ne sont plus rem­boursés à partir d’un certain âge, où certaines opérations ne sont plus prescrites, indépendam­ment du pronostic et de l’état de santé de la personne.

 

Et puis, il y a les autres discriminations qui sont, elles, plus insidieuses!

Oui, comme l’a par exemple montré cette étude menée auprès d’étudiants en médecine qui devaient se prononcer sur la nécessité de proposer ou non une reconstruction mammaire à des femmes d’âges différents suite à un cancer. Eh bien, systématiquement, ils ne proposaient plus cette opération à partir d’un certain âge estimant que cela n’en valait pas la peine. Mais attention, il n’y a pas que les étudiants en médecine qui ­réagissent comme ça, nous sommes tous ­influencés par les stéréotypes associés aux personnes âgées et cela a un effet sur nos comportements au quotidien.

 

Les aînés sont perçus comme des poids morts dans notre société?

C’est un peu le discours ambiant. Les aînés représen­teraient une charge pour la société et seraient trop nom­breux. Avec le vieillissement de la popula­tion, certains évoquent même un futur «tsunami gris», jugeant que l’on va être submergé de personnes âgées et que cela dévastera notre société. On ­retrouve là un peu les mêmes discours que ceux concernant la migration. Mais quand on parle de ce «tsunami gris» en 2045, ce sont les personnes qui ont 40 ans aujour­d’hui qui le provoqueront, c’est-à-dire nous! Il est clair que nous éprouvons une résistance à nous percevoir comme futurs vieux, il y a une très forte mise à distance par ­rapport à ça.

 

La crise sanitaire actuelle a-t-elle encore renforcé ces préjugés âgistes?

Elle les a plutôt révélés. Durant la première vague, les personnes âgées ont un peu joué le rôle de boucs émissaires. La communication de la Confédération a accentué, sans le ­vouloir, ces mécanismes en désignant les personnes de 65 ans et plus comme un groupe à risque que la population devait protéger en restant chez elle. Beaucoup de gens se sont aussi montrés soulagés que le virus ne tue «que» les vieux. Le discours a changé depuis, l’OFSP a revu sa communication, l’âge est moins mis en avant. Ce qui est intéressant avec ce qui est arrivé ce printemps, c’est que les associations d’aînés ont soudain pris publiquement position. Ça a contribué à modifier notre perception des personnes âgées. On les voit désormais un peu moins comme étant toutes fragiles, passives et bien disciplinées. On se rend compte qu’elles sont également capables de se révolter, de dire «Maintenant, ça suffit! Nous aussi, on ­contribue à l’économie, on fait du bénévolat, on garde les petits-enfants…» Ça a été un des effets béné­fiques de cette crise.

 

Comment lutter contre l’âgisme et les ­violences dont sont victimes les aînés?

Cela passe d’abord par l’information et la ­sensibilisation, par une prise de conscience. La maltraitance n’est pas toujours intentionnelle, elle peut même être motivée par de bonnes intentions. Souvent, les proches ou les professionnels décident à la place de la personne âgée «pour son bien». Il leur arrive aussi d’être épuisés ou dépassés et de déraper. Certains n’ont pas conscience des besoins de leur parent âgé et de ce qu’impliquent certaines maladies comme Alzheimer. Toujours en termes de prévention, il est ­important aussi de rendre visibles les ­ressources qui existent. Ça peut être une permanence spécialisée comme celle d’«alter ego» ou le méde­cin de famille. C’est même ­capital, car passablement de res­sources sont disponibles, mais elles ne sont pas toujours connues et saisies par les personnes âgées et leur entourage.

 

D’autres pistes?

Pour lutter contre l’âgisme, il importe de développer les relations intergénérationnelles, d’encourager la participation des per­sonnes âgées à la société, de favoriser les contacts avec les aînés plutôt que de les mettre à l’écart et de les considérer comme un groupe à part.

 

Reconnaître également le rôle qu’elles jouent dans la so­ciété…

Oui. Parce qu’on met généralement en avant ce qu’elles coûtent, alors qu’elles apportent aussi beau­coup à la société.

 

Et ne pas oublier enfin que nous serons tous vieux un jour!

On est tous appelés à vieillir et on est tous le vieux de quelqu’un d’autre. Pour ma fille de 10 ans et ses copines, je suis vieille. Alors que pour ma voisine de 80 ans, je suis une petite jeunette. Tout est relatif. L’âgisme reste aussi tabou parce que ça nous rappelle justement qu’on va vieillir un jour, qu’on risque de de­ve­nir dépendant et qu’au final on est… ­mortel.

 

Bio express de l’auteure

La professeure Delphine Roulet Schwab s’investit dans la lutte contre la maltraitance envers les per­sonnes âgées.

 

1978 Naissance le 28 novembre à Neuchâtel

2001 Licence en psychologie à l’Université de Lausanne

2003 Diplôme d’études supérieures spécialisées en psychosociologie clinique

2009 Doctorat en psychologie

Depuis 2007 Professeure à l’Institut et Haute Ecole de la santé La Source (HES-SO) à Lausanne

Depuis 2014 Représentante de la Suisse au Réseau international pour la prévention de la maltraitance des personnes âgées (INPEA) et coreprésentante de l’INPEA aux Nations Unies

Depuis 2017 Présidente de GERONTOLOGIE CH

Depuis 2018 Présidente d’«alter ego» (association pour la prévention de la maltraitance envers les personnes âgées)

Depuis 2019 Cofondatrice de la plateforme nationale «Vieillesse sans violence»

 

 

Alain Portner

Source : Site internet Fédération des coopératives Migros – 17.01.21

Titre de l’article original : «On est tous le vieux de quelqu’un d’autre»

Mise en forme : APV

Date de parution sur www.apv.org : 27.01.21

 

[1] Point d’interrogation ajouté par le présent éditeur de l’article.

Article écrit par Fédération des coopératives Migros – Alain Portner, Trachsel Jean-Pierre

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